Mauvaise scénographie : un corrosif pour l’art
Un canapé en tissu capitonné, une bibliothèque en chêne massif, en somme un mobilier Roche Bobois qui participe à l’imitation d’un intérieur de collectionneur par lequel il était nécessaire de passer si l’on voulait découvrir la 6e édition de fotofever. Ce week-end la foire de photographie du Carrousel du Louvre rééditait une proposition scénographique orchestrée par Élizabeth Leriche et intitulée « L’appartement du collectionneur ». Elle obligeait ainsi les visiteurs voulant accéder à la foire à passer par cette première étape avant d’atteindre les stands classiques de ce genre de manifestations. Sur les murs des 200m2 de cet appartement fictif, les photographies des artistes choisis pour intégrer l’initiative, sont un peu oubliées parmi les cartels indiquant le prix des meubles Roche Bobois.
Si seulement cet essai curatorial n’avait de scandaleux que son seul manque d’élégance quant au fait de substituer une opération commerciale à une volonté de démocratiser l’acte de collectionner. Cette tentative est fâcheuse parce qu’elle fait partie de ces initiatives qui desservent purement et simplement le travail des artistes. Certes, les œuvres de cette foire, dédiée à la collection de la photographie contemporaine, étaient toutes destinées à la vente et in fine, aux murs d’un appartement de particulier. C’est d’ailleurs tout ce que l’on peut souhaiter aux artistes : que leur travail soit acheté. Mais en présentant ainsi des œuvres, les organisateurs de fotofever bouleversent le statut de la photographie et plus encore, de l’art contemporain. Assortir les œuvres aux couleurs des murs de cette reconstitution c’est les réduire à l’état de décoration. C’est renier ce qu’est fondamentalement le travail d’un artiste : penser son époque, l’embellir, la caricaturer ou encore la critiquer. Plus qu’une simple maladresse, cet appartement est un mépris qu’on ne doit pas sous-estimer et contre lequel il faut lutter car il met le travail des artistes en danger. Certes, il est évident qu’il faut réfléchir à une nouvelle manière d’exposer l’art, même celui que l’on veut vendre. Mais la mise en scène de cette antichambre, déléguée à un magasin de meubles et à la directrice d’un bureau de style, n’est pas la solution.
Ce papier n’est pas un éloge du white-cube ni même un réquisitoire contre le showroom. Les tentatives curatoriales sont pertinentes dès lors qu’elles ne réduisent pas les œuvres d’art à leurs seules problématiques esthétiques et qu’elles n’instillent pas le doute dans la tête du visiteur qui ne saurait plus s’il est dans les allées d’une foire réservée à l’art contemporain ou dans celles d’une chaîne suédoise de mobilier standardisé.
En somme, la proposition des organisateurs de fotofever est révélatrice d’un véritable problème de fond : nous ne saisissons pas pleinement la nécessité de prendre soin des artistes. Les écoles d’art ne forment pas de futurs publicitaires, ou des décorateurs d’intérieur. Non, elles sont les incubatrices de notre capacité à analyser le monde d’aujourd’hui et de demain – une mission que je ne prendrai pas le temps ici de défendre tant sa nécessité me semble évidente. Ne méprisons pas le travail des artistes, protégeons le.
Merci… et que votre propos fasse réfléchir et gagne les esprits moqueurs. A force de faire les malins tous ces sachant, à tourner en dérision la moindre chose, l’artiste fini par passer pour un fumiste.
[…] “Le visiteur ne sait plus s’il est dans les allées d’une foire réservée à l’art contemporain ou dans celles d’une chaîne suédoise de mobilier standardisé.” Camille Bardin pose un regard critique sur la dernière édition de Fotofever. […]