THÉO MERCIER, PIÈCES RAPPORTÉES – MUSÉE DE L’HOMME


À l’entrée de la Galerie de l’Homme du musée du même nom, des lettres géométriques remplies d’un orange agressif progressent sur le mur. Elles alertent et informent d’un projet singulier : ici, l’artiste contemporain Théo Mercier a envahi les lieux avec ses pièces rapportées. Ici, Théo Mercier a élu domicile. Une vitrine accompagne l’entrée de l’exposition. Elle abrite Collier-Passeport : une multitude de tours Eiffel miniatures, les mêmes que l’on retrouve vendues à la sauvette sur le parvis du Trocadéro, accrochées par un fil de fer au poignet, comme un trousseau de clé qui nous dit d’entrer.

C’est cette même couleur orange qui guide le visiteur et qui s’immisce dans la Galerie en distillant ici et là les œuvres de l’artiste. Théo Mercier n’a pas d’espace consacré au sein du Musée. L’artiste épouse la forme du parcours muséal et conjugue avec les œuvres ou les objets ethnographiques déjà présents. Un véritable cache-cache avec le visiteur, qui, au fil de sa visite, s’amuse à chercher quelles vitrines Théo Mercier a pu parasiter. Il s’agit là d’entremêler les histoires et les archéologies, de créer une véritable passerelle entre l’ancien et le contemporain, entre l’histoire et l’actualité.

Vue de "Memento Mori" - Théo Mercier - Pièces rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
Vue de “Memento Mori” – Théo Mercier – Pièces rapportées – Musée de l’Homme – Copyright JC Domenech MNHM

Né en 1984, Théo Mercier est un autodidacte qui crée à la légère, ou qui, du moins se débrouille pour en donner l’illusion. Les œuvres de Théo Mercier sont attirantes, colorées, lumineuses mais elles apportent en réalité avec elles tout un lot d’inquiétude et de gravité : un équilibre fragile qui manque de se fracasser. Dans Le goût du néant, c’est de cet équilibre dont on parle. Une amphore grecque se hisse sur un socle en parallélogramme. Un socle de travers, donc. L’amphore, elle, n’est pas correctement assise, la moitié de son poids repose dans le vide. Au pied du socle, un pneu, et des ruines, des poteries. Au sommet de l’amphore, trois boules d’un blanc immaculé. Tout va s’écrouler à un moment, c’est évident.

Théo Mercier joue avec le précaire par le biais de la lumière, de la séduction. Il ose confronter les références, convoquer des histoires, et les remanier pour les faire siennes. L’artiste avait été invité au Palais Tokyo en 2010 à l’occasion de l’exposition Dynasty. Marc-Olivier Wahler, alors directeur de l’institution, présentait Dynasty comme une exposition où « les œuvres expriment […] des choses que la parole ou la pensée n’arrivent plus à articuler » et il y a dans les œuvres de l’artiste comme un quelque chose de palpable, d’attirant, d’évident. Un quelque chose que l’on n’arrive pas à traduire. Un quelque chose de familier, comme une navigation dans un champ de références communes à tous. Il y a chez Théo Mercier, l’indice d’un artiste mondialisé.

Vue de "Sans Titre" - Théo Mercier - Pièces rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
Vue de “Sans Titre” – Théo Mercier – Pièces rapportées – Musée de l’Homme – Copyright JC Domenech MNHM

C’est sans doute en cela que la place de l’artiste au sein du Musée de l’Homme se retrouve amplement justifiée. Il y a dans le Musée, malgré sa mue extraordinaire de 2015, ce goût amer de la faute, qui nous rappelle les classifications d’Edme François Jomard, et les origines coloniales du musée ethnographique. Théo Mercier dépoussière en colonisant à son tour le Musée. C’est un véritable renversement critique qui se joue et qui se concentre dans les œuvres. Dans Sans titre, un amas de masques de pacotille qui font penser à des masques africains. Théo Mercier critique subtilement : il fût un temps ou un masque africain n’avait pas de dates, pas de provenance, juste un exotisme à faire rêver les pilleurs. L’indistinction, l’indifférence. Il y a dans ce tas, l’histoire d’un pillage français et l’histoire d’un massacre, car il y a dans ce tas l’histoire de ces vies qui traversent la Méditerranée et qui se retrouvent englouties par l’eau. Chez Théo Mercier, tout se bouscule. L’anthropologie se mêle à l’imaginaire. Sans titre est terrible, grave, mais extrêmement juste, posée au milieu d’une salle, au beau milieu du parcours intitulé « Qui sommes-nous ? ».

Vue de "Back to basics and gender studies" - Théo Mercier - Pièces rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
Vue de “Back to basics and gender studies” – Théo Mercier – Pièces rapportées – Musée de l’Homme – Copyright JC Domenech MNHM

Mais tout n’est pas aussi dur à entendre. Un bout de chorizo, une peau de banane un brin d’eau de toilette viennent contaminer les vitrines du Musée, et se glisser entre deux fémurs ou entre deux crânes. On rit beaucoup, on cherche le faux, on efface le vrai, on se moque des classifications. Le frisson archéologique de l’homme occidental, qui s’émeut face à une phalange d’homme préhistorique, se retrouve ici tourné au ridicule. On se moque de nous, en réalité. Attention cependant ! Les cartels, malgré leur orange criard, jouent leur rôle. Au visiteur flâneur, qui se refuse à être alerte, se tend le piège de la confusion. Sans doute, dans Back to Basics and Gender Studies, il pensera à une sculpture vaguement africaine. Dans Assemblée générale, il y verra un collier maya ou aztèque. Sans doute, c’est dans cet écueil que Théo Mercier veut nous faire tomber. L’artiste ridiculise ainsi notre façon rationnelle de classer. Ici, c’est l’imaginaire qui triomphe, c’est l’avènement d’une histoire de l’objet de camelote.

Vue de "Assemblée générale" - Théo Mercier - Pièces rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
Vue de “Assemblée générale” – Théo Mercier – Pièces rapportées – Musée de l’Homme – Copyright JC Domenech MNHM

En fin de parcours, La possession du monde n’est pas ma priorité. Une étagère qui supporte des cailloux. De faux cailloux, du genre de ceux que l’on offre aux poissons rouges dans un aquarium. Voilà le parcours : des cabinets de curiosités du XVIIe siècle, en passant par le readymade de Marcel Duchamp, pour atterrir sur les jouets en caoutchouc d’Haim Steinbach dans Oxygen (2011). Théo Mercier invite le visiteur à recréer des univers, il fait de ses objets de pacotille une collection aux formes rendues abstraites, très esthétisées.

Vue de "La possession du monde n'est pas ma priorité" - Théo Mercier - Pièces rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
Vue de “La possession du monde n’est pas ma priorité” – Théo Mercier – Pièces rapportées – Musée de l’Homme – Copyright JC Domenech MNHM

Théo Mercier titille, réveille et rafraîchit. Entre intrusion critique et regard ludique, les œuvres de l’artiste se retrouve muséifiées de la plus belle des manières.

Margaux Luchet

Margaux Luchet
Exposition Théo Mercier, Pièces Rapportées au Musée de l'Homme du 5 octobre 2017 au 2 avril 2018

Image à la une : Vue de "Collier-Passeport" - Théo Mercier - Pièces Rapportées - Musée de l'Homme - Copyright JC Domenech MNHM
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There is 1 comment on this post
  1. M. Mario Nadeau
    mars 30, 2018, 7:24

    Je trouve ces oeuvres très riche de sens. Ces oeuvres surprenantes nous déstabilise, nous pousse hors de notre zone de confort. Elles nous questionnent sur notre histoire et le sens innée que l’homme a toujours cherché à exprimer, la part de son expérience humaine. J’appréci le partage des oeuvres de cet artiste.

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