Sous influence, l’art de Burroughs
On connaît surtout de William Burroughs, figure de la Beat Generation, son œuvre littéraire. Auteur du Festin nu ou de Junkie, il popularise avec Brion Gysin la pratique du cut up et du fold in mais est moins célèbre pour ses peintures au fusils et autres expérimentations visuelles. Si le Centre Pompidou lors de l’exposition Beat Generation en 2016 a cherché à mettre en valeur la dimension pluridisciplinaire du mouvement en juxtaposant manuscrits, dessins, photographies et peintures, la galerie Semiose a été plus spécifique et s’est consacrée à sa personne. En éditant un fanzine de luxe, en lui dédiant une exposition puis une autre Benoît Porcher a souhaité témoigner de sa « sincère considération » envers un artiste touche à tout. Ce travail de recherche nous éclaire sur les frontières mouvante entre art littérature, des modèles de collaboration et une exploration progressive des seuils de la conscience.
William Burroughs ne s’est jamais caché devoir ses pages les plus hallucinées aux effets combinés de l’alcool et des drogues. À la suite des surréalistes, il pratique les associations libres et la création automatique. Réminiscence peut-être de son séjour parisien rue Gît-le-cœur et des effets lumineux de la lanterne magique, ses explorations dans le domaine des arts plastiques ou sonores traduisent des sensations exacerbées à la limite du dicible et du représentable. Il ne parle jamais d’inconscient puisque selon lui « si le processus était inconscient, personne n’y serait attentif » mais cherche pourtant par ses différentes pratiques, par les différents états qu’il traverse à révéler quelque chose du monde qui l’entoure. L’idée de magie est omniprésente dans les interviews de Burroughs qui voit dans la peinture et l’écriture une manière de clairvoyance. Citant à l’occasion Paul Klee sur la question de la représentation du visible, il affirme que l’acte de création est un acte d’observation est qu’un acte d’observation est un acte de création.
Liant par l’intermédiaire des pictographes et hiéroglyphes la pratique de la peinture et de l’écriture, William Burroughs tente dès les années 1960 avec son ami Brion Gysin de donner forme à un art calligraphique. Dans la même période il s’associe avec Robert Rauschenberg pour la série de lithographies American Pewter with Burroughs. La collaboration est très importante pour l’artiste selon qui la rencontre de deux personnes donne naissance à « une troisième force, invisible et intangible, qui doit être assimilée à un tiers esprit ». Un plus un égal trois. En suivant ce précepte, Burroughs, à la notoriété alors bien établie, quand il accepte de recevoir le jeune peintre Taaffe en 1987, après la mort de Gysin, y voit une occasion de déborder de lui-même et de sortir de son cadre. Mutuellement les deux artistes s’entraînent plus loin, au point que l’observateur ne parvient plus à identifier qui a fait quoi.
La collaboration avec Philipp Taaffe que la galerie Semiose choisit de montrer au travers d’une exposition et d’une édition a été fortement documentée. Heure par heure, avec photo et enregistrement, nous pouvons suivre comment sont tracés cette dizaine de dessins aux titres évocateurs. S’il est difficile à première vue de voir dans les dessins abstraits ces mondes qu’esquissent Entrée du musée des espèces disparues, Bordel vénusien, Paysage de Madagascar, il faut pourtant se laisser porter par les traits d’encre brossés rapidement, les tracés épuisées tracés d’une main ferme. Les deux artistes partagent une même vision divinatoire de la peinture, en témoigne la présence récurrente du crâne et de la spirale, « forcément magique ». Imprégné de spiritualité orientale, Taaffe a beaucoup observé la calligraphie arabe et apporte un certain délié à ses mouvements quand Burroughs est davantage dans l’énergie. Leurs discussions dessinent un récit erratique où les intuitions et fulgurances encouragent les détours. L’encre devient expression de l’ailleurs, d’un au-delà, de la mort ; « une sorte de langage ».
Burroughs parle de faire circuler dans le dessin un courant électrique. On retrouve la même idée d’un flux tendu dans toutes ses créations. Ses peintures au fusil révèlent une constante obsession de la vitesse. À la différence de Niki de Saint Phalle qui entame les siennes dès 1961, celles de Burroughs sont plus brutes. La matière très présente ne dit rien d’autre qu’elle-même, que le bruit de la détonation qui se répète comme un écho : celui de la nuit d’ivresse au cours de laquelle, voulant jouer à Guillaume Tell, il tue sa femme. Qu’importe alors de viser juste si l’on peut faire danser les fantômes ?
Image à la Une : Vue de l’exposition Drawing Dialogue, William S. Burroughs & Philip Taaffe, Semiose, Paris, 2019. Photo : A. Mole.
William S. Burroughs & Philip Taaffe, Drawing Dialogue du 13 avril au 11 mai 2019 à la Galerie Semiose.
William S. Burroughs & Philip Taaffe, « Drawing Dialogue », 2019. Essai de Brice Matthieussent, interview de James Grauerholz, témoignages Tony Oursler et Philip Taaffe, 48 pages couleur, couv. cartonnée toilée - 30 x 22,5 cm.