“Lumière de l’aube” Yoko Ono – MAC Lyon


« L’art n’est pas une chose spéciale. Tout le monde peut en faire. » Cette définition, prononcée par Yoko Ono, résume parfaitement les intentions de l’exposition « Lumière de l’aube », présentée au MAC de Lyon jusqu’au 10 juillet 2016. En effet, le musée expose, dans une rétrospective éclairée, des œuvres de l’artiste japonaise si emblématique. Tous les médiums y trouvent une place : sculpture, peinture, installations, vidéos…

Malgré la multiplicité des propositions qui s’offrent au visiteur, le fil conducteur de l’exposition est clair, et affiché tout au long du parcours : « Participez/Participate », peut-on lire devant les œuvres. Dès lors, celles-ci nous invitent à toucher, voir, entendre. En faisant intervenir nos sens, elles transforment notre perception de l’objet en tant qu’oeuvre d’art et éveillent notre sensibilité. Auprès des visiteurs, la curiosité est à son comble. Certains hésitent, d’autres sont dubitatifs, mais beaucoup se prêtent au jeu immédiatement. Et finalement, tout le monde expérimente le nouveau monde perceptif qui est offert par l’institution muséale.

Tout est pensé pour intervenir. Le visiteur se transforme en acteur de l’œuvre. Ainsi, celui-ci active des objets pour lui donner vie et raconter une histoire. Son histoire. Et puisqu’il s’agit d’une affaire d’expérience, quoi de mieux que de vous raconter mon propre parcours. Curieux ? Suivez moi dans le monde fabuleux d’une artiste aux multiples facettes.

Au premier niveau, tout commence comme une exposition classique. Les premières œuvres présentées portent le nom de « Peintures-instructions ». Lors de sa première exposition personnelle à l’AG Gallery de New York en 1961, l’artiste laisse libre cours à l’imagination du spectateur : celui-ci peut interpréter comme il le souhaite les instructions qui lui sont données afin de donner vie à une œuvre. Yoko Ono dira par la suite à ce propos que ces peintures instructions « sont faites par qui le souhaite (…) Mon intérêt se porte principalement sur la peinture à construire dans vos têtes ». Le ton est donné.

Bien que l’exposition commence avec des pièces des années 1960, point de parcours chronologique ici. Original pour une rétrospective, me dis-je. Continuons.

En face, quelques dizaines de personnes jouent face à face à un drôle de jeu. Je m’approche pour décrypter ce qu’ils font. Je découvre alors l’œuvre « Play It By Trust » ( 1966 ) : il s’agit d’un jeu d’échecs entièrement blanc, rendant ainsi impossible une quelconque victoire. Tout est alors basé sur la confiance mutuelle entre les joueurs, une confiance qui devrait toucher tous les êtres du monde. Certains essaient tout de même de gagner la partie, en vain.

Plus loin, des échelles de différentes tailles invitent les participants à monter pour se rapprocher du ciel ; des casques militaires flottent dans les airs ; trois monticules de terre prennent place sur le sol : tout nous ramène aux éléments naturels.

Soudain, un son m’intrigue. Depuis quelques minutes, j’entends quelqu’un frapper dans une pièce au loin. Une performance ? Une vidéo ? Je m’approche, passe une porte. J’entre alors dans une salle de conférence. Dans cet espace, je fais la rencontre de l’œuvre « Executive Conference Room ». Quel ne fut pas mon étonnement en voyant plusieurs personnes s’emparer d’un marteau et planter des clous sur toutes les pièces de mobilier, les murs… Une destruction fantasque et plaisante, je dois l’avouer. Mais ici nul n’est question de violence.

Plus tard dans mon parcours, je fis la rencontre de son contraire« Mend Piece », œuvre au cours de laquelle l’artiste invite le spectateur à réparer de la vaisselle brisée. Ce parallèle destruction / réparation s’est imposé comme une évidence, comme pour reconstruire ensemble ce que nous, humains, détruisons tout aussi collectivement.

Quelque chose m’interpelle sur certains cartels : je découvre que certaines œuvres ont été créées spécialement pour l’exposition lyonnaise. Et c’est là je trouve que se trouve une des forces de « Lumière de l’aube »: faire un lien avec la ville qui l’accueille, cité des lumières et de la naissance du cinéma. Je pense par exemple à l’œuvre « Kitchen Piece » : l’artiste a invité deux chefs lyonnais à réaliser une soupe et de la jeter sur une toile. Qui ne sait pas que Lyon est la ville de la gastronomie ?

Beaucoup d’œuvres de ce niveau ont marqué mon attention, mais pas question de tout vous révéler, ne gâchons pas le plaisir de la découverte.

Dans cette exposition, je vais de surprises en surprises et m’amuse à regarder les visiteurs expérimenter ici et là tout ce qui leur est offert. Sans peut être s’en rendre compte, ceux ci appréhendent leurs corps d’une manière inédite, redécouvrent leurs sens et voient l’art sous un autre jour.

En arrivant au deuxième niveau, ma réflexion se porte sur la lumière, qui donne son nom à l’exposition : ici, tout est plus sombre. Une nouvelle intimité se crée. Au fond de la pièce, j’aperçois la performance emblématique « Cut piece » qui passe en boucle. Dans cette obscurité, entourée d’objets du quotidien, j’ai réellement l’impression d’assister à cette performance, durant laquelle l’artiste se met à nu, en demandant à des visiteurs de venir couper un pan de ses vêtements à l’aide d’une paire de ciseaux. Nouvelle ambiance.

Depuis le début, je ne sens pas la personnalité de l’artiste, pourtant connue pour ses prises de position féministes et pacifiques ; trop absorbée sur quoi faire de tous ces objets. L’œuvre « Ex It » me rappelle à l’ordre. Dans une pièce avec vue sur la Saône, des dizaines de cercueils s’alignent. Morbide ? Non. En effet, des arbres poussent de ces cercueils, créant ainsi un jardin fictif presque plaisant, si on ne sait pas dans quoi ils prennent racine. L’artiste utilise des cercueils rudimentaires utilisés sur les champs de bataille, empreints de mort et de violence ; tandis que les arbres symbolisent la résurrection. Yoko Ono nous livre ici un espoir poétique en nous confrontant à une réalité, quand bien même cet espace est fictif.

Plus loin, l’œuvre « Crickets » continue de nous alerter contre la violence qui s’est emparée du monde. Des cages à grillons ornent le plafond, contenant des noms de villes et la date d’un événement violent qui s’y est déroulé. Le visiteur est ensuite invité à écrire dans un cahier son propre souvenir de violence, l’inscrivant ainsi dans une certaine forme de réalité : par l’écrit, le souvenir devient réalité.

Par les expériences qu’elle propose, l’exposition arriverait presque à nous faire oublier la personnalité de l’artiste et ses positions activistes. Les œuvres du deuxième niveau nous ramènent vite à la réalité. Yoko Ono veut nous faire prendre conscience de la violence qui s’opère sur le monde ? C’est gagné. Peut être oublierai-je cette dimension quand je sortirai de l’exposition. Mais pour l’heure, oui, ça marche.

Montons d’un étage. Après toutes ces émotions, je m’attends à tout. « Water Event » m’accueille. La pièce dans laquelle j’entre est remplie de récipients, ou d’objets qui s’apparentent à des récipients. Mais d’où viennent-ils ? Que font ils ici ? Le cartel m’apprend que ces objets ont été donnés par tous les artistes ayant participé à la Biennale d’Art contemporain de Lyon de 2015 et de musiciens. Une fois encore, le lien avec la ville est présent. Dans son texte Water Talk ( 1967 ), l’artiste déclarait que « Nous sommes tous de l’eau dans différents récipients ». Ici, ces récipients sont des objets qui représentent une personne, qui ont une histoire. L’objet devient un substitut de la personne à qui il a appartenu. Cette œuvre nous met alors face à une foule d’artistes en tout genre, mais qui, comme nous, ne sont que matière organique.

Enfin, je me rends vers l’œuvre « Lumière », spécialement créée à l’occasion de l’exposition. Une nouveauté, allons-y. Un intervenant m’invite à compléter un questionnaire, à enlever mes chaussures et m’enferme dans un sac de toile noire. Que va-t-il donc m’arriver ? Je ne suis pas très à l’aide je dois dire. Il me fait entrer dans une pièce inondée de lumière. Bien entendu ma perception est entravée par le sac. Puis l’intense lumière s’éteint progressivement pour atteindre le noir complet. Et se rallume. Privée de ma vue immédiate, et ne pouvant que percevoir les fluctuations de la lumière, celle ci prend une toute autre dimension.

En arrivant au MAC, m’attendant à voir une éloge de la personnalité de Yoko Ono, j’avais peur que celle ci étouffe le propos et ne laisse pas de place au visiteur. Il n’en est rien. En mettant l’accent sur la participation active du visiteur, le musée souligne le travail de l’artiste tout en donnant une nouvelle dimension à l’art et à l’objet. Il nous fait découvrir ou re-découvrir une artiste engagée et visionnaire, qui a changé les codes de son temps en mettant à l’honneur l’humain. En somme, vous, moi, nous.

En touchant, voyant, sentant, nous prenons une importance nouvelle : du regardeur duchampien, nous devenons acteur. Acteur de quoi ? De l’œuvre, certes, mais aussi de notre propre histoire. Par les actions, les gestes et les expériences, une relation de réciprocité s’installe entre le visiteur et l’œuvre, l’un influant sur l’autre. Quand les portes du musée se ferment, laissant les œuvres seules face à elles-mêmes, celles-ci portent en elles le souvenir du passage de ceux qui les ont expérimentées. Les visiteurs, reprenant le cours de leur vie, emportent quant à eux le souvenir de ces objets et de la sensation qu’ils ont pu leur faire ressentir.

Vous l’aurez compris, l’exposition « Lumière de l’aube » est à voir absolument et sans modération.

Flavie Ingelaere

 

 

Image en tête : Yoko Ono, “Balance Piece”, 2010, installation. Courtesy MAC Lyon.

YOKO ONO

“LUMIERE DE L’AUBE”

MAC LYON

DU 9 MARS AU 10 JUILLET 2016

81 QUAI CHARLES DE GAULLE

69006 LYON

HTTP://WWW.MAC-LYON.COM

Flavie Ingelaere
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There are 0 comments on this post
  1. juin 13, 2016, 11:33

    Yoko Ono au final n’a pas beaucoup changé depuis ses débuts. Décalages, surprises, détournements, associations de matières et d’objets sans rapport, à priori, et pour le plus grand plaisir de ceux qui prennent le temps de le partager avec l’artiste à travers ces oeuvres. Cette persistance nous montre la grande vitalité imaginative de l’artiste qui réveille nos sens. Et toujours avec un grand bonheur.

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