Hicham Berrada, « 74 803 jours » – Abbaye de Maubuisson


Du 8 octobre 2017 au 22 avril 2018, l’abbaye de Maubuisson accueille l’exposition monographique « 74 803 jours » d’Hicham Berrada. Pour cette occasion, l’artiste présente trois œuvres inédites spécialement conçues pour les lieux. Oscillant entre art, science et technologie, il brouille les pistes entre ces domaines afin de nous plonger dans des univers tous droits issus de récits d’anticipation.

 

HIcham Berrada, Masse et Martyr, 2017, ©Catherine Brossais

Hicham Berrada, Masse et Martyr, 2017, Installation / Aquarium, eau, sodium, courant électrique, bronze, projecteur HMI, Production abbaye de Maubuisson, Conseil départemental du Val d’Oise, ©Catherine Brossais

 

L’atelier est son laboratoire, le musée son champ d’application. Né d’une mère biologiste et d’un père pharmacien à Casablanca (Maroc), c’est naturellement qu’Hicham Berrada intègre les sciences à sa pratique. Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2011, il rejoint ensuite le Fresnoy. Sous l’impulsion d’Alain Fleischer, cette école favorise le décloisonnement entre les disciplines, produisant toute une génération de plasticiens-techniciens (parmi eux, Cécile Beau, Michaël Sellam…). C’est par ses performances filmées, telle que Présage (2005) ici exposée, que Hicham Berrada se fait connaître. Au cours de celles-ci, il verse divers composants chimiques dans un récipient de verre rempli d’une solution saline. Placé sur une plateforme tournante, le tout est filmé en gros plan et rediffusé sur grand écran en temps réel. Des mondes se métamorphosent alors sous nos yeux, semblables à des fonds marins merveilleux ou apocalyptiques. Loin de se considérer comme un démiurge, Hicham Berrada explique être un simple agent qui sélectionne les conditions chimiques et biologiques pour que les formes puissent émerger. Il laisse alors l’œuvre en totale autonomie, s’appuyant sur le principe d’entropie dans son sens étymologique de désordre et de hasard lors d’une transformation. Avec Masse et martyr (2017), il fait un clin d’œil à l’histoire de l’art en plongeant des bronzes réalisés à la technique de la cire perdue dans un bain d’électrolyse. Il accélère ainsi le processus d’altération naturelle des sculptures.

 

Hicham Berrada, Méditation x240, 2017, ©Catherine Brossais

Hicham Berrada, Méditation x240, 2017, Installation vidéo / 7 écrans double-face, 7 vidéoprojecteurs, 7 lecteurs synchronisés, 7 time-lapse de 6 min, Production abbaye de Maubuisson, Conseil départemental du Val d’Oise, ©Catherine Brossais

 

74 803 jours soit 204 ans. C’est le temps qu’il aurait fallu à ces bronzes pour obtenir l’aspect qu’ils auront à la fin de l’exposition. Le temps est un paramètre constitutif de l’œuvre d’Hicham Berrada. Que ce soit par l’usage de la performance en tant qu’action qui s’inscrit dans un temps donné, la notion de work in progress ou par le choix du temps comme topos, il apparaît de manière récurrente :

Le temps me fascine. C’est une des rares forces que l’on ne peut pas contrôler expérimentalement. Mais on peut agir sur le temps perçu. Les hommes aiment accélérer les choses. Je ne m’inscris pas en opposition à cette tendance. J’agis comme un catalyseur, action courante de l’homme dans la nature[1].

Masse et Martyr invite le spectateur à expérimenter une temporalité autre, quasi anachronique. En effet, l’artiste nous permet d’assister à un phénomène que nous n’aurions pu voir dans le temps de notre existence humaine. Tels des archéologues du présent, nous semblons faire la découverte des vestiges de notre propre civilisation. D’une autre manière, Méditation x240 (2017) s’empare de ce sujet. L’œuvre met en scène la course du soleil sur les carreaux de la salle des religieuses. Hicham Berrada a pour cela filmé au préalable les mouvements de la lumière durant toute une journée. De chaque côté sur la longueur de la pièce, des écrans sont suspendus face à l’emplacement qu’ils représentent, véritables mises en abîme du lieu. La vidéo y est projetée à une vitesse multipliée par 240, en time-lapse. Deux mondes aux temporalités différentes s’entrecroisent, tels des mondes parallèles révélés. Ils nous plongent dans un état contemplatif, si ce n’est méditatif.

 

Hicham Berrada, Le jardin inaltérable, 2017, ©Catherine Brossais

Hicham Berrada, Le jardin inaltérable, 2017, Installation / Mylar, safran, olivier et parpaings couverts à la feuille d’or, lampes sodium Hqi et UVA, ordinateur de calcul, écran, Production abbaye de Maubuisson, Conseil départemental du Val d’Oise, ©Catherine Brossais

 

Dans cette exposition, le jeune plasticien intègre la spiritualité. La sacralité passée des lieux s’y prête tout particulièrement. Ancienne abbaye cistercienne, l’abbaye de Maubuisson a été fondée en 1236 par Blanche de Castille pour y accueillir les religieuses avant d’être reconvertie en centre d’art contemporain en 2001. Hicham Berrada s’en saisit à travers ses titres (Masse et Martyr, Méditation x240) et son interprétation technologique du Paradis[2] avec Le jardin inaltérable (2017). Il définit un biotope délimité par des panneaux réfléchissants. S’y trouve un olivier au tronc d’or cerné de parpaings assortis. De l’autre côté, un écran matérialise la version 2.0 d’une fontaine, algorithme programmé. Le tout baigne dans une douce lueur dorée apaisante. Pour y pénétrer, nous devons revêtir charlottes, masques, lunettes de protection et couvres chaussures. Le spectateur, ainsi aseptisé, ne peut troubler le repos biologique de cet oasis. Rapidement, notre regard relève des incohérences, le malaise s’installe. La fontaine numérisée nous rappelle les cheminées électriques aux fausses braises et fausses flammes. Nulle vie ne semble s’y épanouir, l’homme y est une menace. Si nous avons, dans un premier temps, été attirés par ce microcosme comme des papillons de nuit par une lampe, l’illusion se révèle, violemment. Il est alors temps de quitter ce paradis artificiel.

 

Pauline Schweitzer

 

[1] Entretien d’Hicham Berrada par Mouna Mekouar, catalogue du Palais de Tokyo, saison Soleil froid, 2013.

[2] Sourate 47 (XLVII) verset 15 du Coran :

Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux : il y aura là des ruisseaux d’une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié. Et il y a là, pour eux, des fruits de toutes sortes, ainsi qu’un pardon de la part de leur Seigneur.

Image à la une : Hicham Berrada, Masse et Martyr, 2017, détail, Installation / Aquarium, eau, sodium, courant électrique, bronze, projecteur HMI, Production abbaye de Maubuisson, Conseil départemental du Val d’Oise, ©Catherine Brossais

 

Hicham Berrada, « 74 803 jours »
Du 8 octobre 2017 au 22 avril 2018
Abbaye de Maubuisson
site d’art contemporain du Conseil départemental du Val d’Oise
Avenue Richard de Tour, 95310 Saint-Ouen l’Aumône
Site : www.valdoise.fr/614-l-abbaye-de-maubuisson.htm
Pauline Schweitzer
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There are 2 comments on this post
  1. Tizie TO Bi
    décembre 06, 2017, 9:20

    Super !

  2. Oddie
    janvier 10, 2018, 11:25

    Merci pour cette critique admirablement écrite et si riche de contenu!

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