« Les faits du hasard » – CENTQUATRE
Du 9 décembre 2017 au 4 mars 2018, le CENTQUATRE présente l’exposition collective « Les faits du hasard ». Cette exposition s’inscrit dans le cadre de Némo, la Biennale internationale des arts numériques-Paris/Île-de-France, et réunit une vingtaine d’artistes plaçant les nouvelles technologies au cœur de leurs créations. Ici, pas de pinceau, de palette, de toile, de marbre ou d’argile, mais des néons, des codes informatiques, des robots, des casques de réalité virtuelle et alambics pour inviter le spectateur à une déambulation numérique.
Le hasard. Imprévisible, imprédictible, insaisissable, il s’invite dans chacune de ces œuvres comme constituant essentiel. Déjà, en 1952, le compositeur John Cage l’élevait au rang d’art avec le morceau 4’33″. L’interprète scandait les trois mouvements par l’ouverture et la fermeture du clavier, laissant place, non pas au silence, mais à tous les bruits accidentels de la salle de spectacle. Mais, l’utilisation du hasard apparaît paradoxale dans un cadre numérique. En effet, le terme même de programmation informatique laisse supposer que tout est anticipé, calculé, ne laissant ainsi pas de place à l’aléatoire. Pourtant, par le biais d’algorithmes, les artistes offrent une autonomie au processus créatif. Ainsi, Fabien Zocco, dans L’Entreprise de déconstruction théotechnique, réécrit la Bible par le biais de machines, quitte à en fausser le sens. De même, le groupe Disnovation.org imagine un code informatique avec Predictive Art Bot afin de prévoir les concepts artistiques futurs. Ils ont développé un algorithme qui pioche différents termes récurrents dans les médias et compose des phrases ou expressions. Ici, c’est donc la machine qui nous propose de nouveaux champs de créations, et qui guide l’artiste vers d’autres possibles.
« Il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait » [1]. Ce constat de Marcel Duchamp s’applique tout particulièrement aux « faits du hasard ». D’autant plus que le spectateur n’y est plus seulement regardeur mais créateur. Sa seule présence influe sur la tournure que peuvent prendre des œuvres exposées. Semi-Senseless Drawing Modules de So Kanno et Yang02 est une fresque murale réalisée par de petits robots dessinateurs. Ils possèdent des capteurs environnementaux qui vont conditionner la composition selon la température, l’humidité, ou les mouvements des spectateurs. Cette idée de paternité partagée de l’œuvre se retrouve dans Aquaphoneia de Michael Montanaro et Navid Navab. Tel le laboratoire d’un savant fou, la salle accueille de grands alambics dans lesquels coule, goute et bouillonne de l’eau. Ils sont tous reliés à un imposant cornet, rappelant les vieux tourne-disques. Le spectateur est alors invité à offrir un son à l’œuvre, son qui sera traité comme une matière par le dispositif.
« Les faits du hasard » trouble(nt) nos sens en jouant sur notre perception de la réalité. Les œuvres donnent vie à l’inexistant grâce aux nouvelles technologies telle Kathy Hinde qui, dans son oeuvre Piano Migrations, anime des oiseaux en les projetant sur un mécanisme de piano. La présence virtuelle des oiseaux – selon la trajectoire de leur vol – génère une musique. La réaction du piano nous donne l’illusion que ces oiseaux sont prisonniers de ses cordes, se transformant en une cage sonore. Une autre œuvre joue sur nos perceptions, The Machine to Be Another (Body Swap) mise au point par le BeAnotherLab. Il n’est possible qu’à deux personnes à la fois de tester le dispositif. Casques de réalité virtuelle vissés sur la tête, nous adoptons le regard de notre partenaire. En synchronisant nos mouvements, nous avons l’illusion que ce corps est le nôtre. Mais c’est quand nous nous levons de notre siège que l’expérience devient fascinante, et nous montre à quel point notre taille change notre appréhension du réel par rapport à celle d’un autre.
La Biennale Némo continue jusqu’au 25 mars 2018 avec une riche programmation d’expositions, concerts, représentations théâtrales notamment à la Gaité Lyrique, au Générateur, au Carreau du temple, à la Cité de la musique ou encore à la Maison populaire de Montreuil.
Pauline Schweitzer
[1]. Marcel Duchamp, Ingénieur du temps perdu : entretiens avec Pierre Cabanne, Édition P. Belfond, 1976.
Image à la une : Guillaume Marmin – Licht, Mehr Licht ! © Quentin Chevrier
« Les faits du hasard »
Du 9 décembre 2017 au 4 mars 2018
CENTQUATRE
5 rue Curial, 75019 Paris
http://www.104.fr/¶
https://www.biennalenemo.fr/¶