La Vitrine : pour une expérience rétinienne immédiate


Une poitrine brisée, du lierre pixélisé, un corps amputé échoué derrière un parasol absent ou encore un renard empaillé vêtu de sa proie. Si habituellement nous déambulons dans l’espace d’exposition pour découvrir au fur et à mesure le travail des artistes, ici, l’expérience rétinienne est immédiate. Car la Vitrine porte bien son nom : loin des white-cubes de la capitale, elle est une petite crique artistique nichée dans la ville de Millau, en Aveyron. Impossible de pénétrer dans l’espace, la visite ne se fait que depuis la chaussée, derrière la vitre. Les mètres carrés disponibles sont peu nombreux mais ils sont surtout dénués de l’eurythmie qu’engendrent les traditionnelles cimaises. Ainsi, l’ensemble de l’exposition s’offre d’emblée à nous. La visite se fait presque de manière immobile, sans que quiconque n’ait la possibilité d’influencer notre lecture. Alors, à chacun de se laisser happer par l’œuvre de son choix…

Et pourquoi pas cette femme dessinée grandeur nature ? Ses mouvements flous, son visage hypnotisé, sa tenue folklorique sont la somme d’une photographie que Luci Garcia a sélectionnée parmi celles présentes dans les livres qu’elle collectionne. Des livres particuliers puisqu’ils répertorient les curieux faits-divers des siècles derniers. Les éléments de la scène de crime exclus, la dépouille devient l’artisane d’une étonnante danse macabre.

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À l’inverse, vous serez peut-être davantage étonnés par ces drôles d’excroissances, sortes de pustules murales, stigmates d’une maladie incurable développée par la paroi infectée de l’espace. On ne connaît leur origine mais elles semblent menacer l’ensemble de l’exposition, comme si l’on devait s’attendre à voir le reste des œuvres envahi par ces abcès en repassant un peu plus tard devant cette vitrine.

De l’autre côté, c’est un drapé fantomatique qui attire notre attention, une toile sans châssis suspendue au mur. Un objet aujourd’hui hissé au statut d’œuvre d’art alors qu’il n’était qu’une surface protectrice, posée au sol, le long des bâtiments dont les murs étaient repeints par des ouvriers. Un dessin abstrait a été formé par les gouttelettes de peinture, tâches aléatoires, tombées par hasard sur le tissu.

Enfin, on pourrait déambuler du regard vers cette toile posée sur le mur du fond. Son sujet, par son atypie, semble presque teinté d’ironie. En effet, rares sont les personnes qui s’attardent à observer les autoroutes, d’autant plus rares sont celles qui décident de les immortaliser. Mais qu’importe. Comme les impressionnistes des bords de Seine qui peignaient sur le motif, Cassandre Cecchella stationne sur la bande d’arrêt d’urgence et fixe sur la toile ces paysages contemporains où l’urbanisme vient envahir les champs désertiques.

Ici, l’éclectisme des œuvres est évident, leur point en commun l’est sûrement moins. Pourtant, toutes se retrouvent dans ce même espace restreint avec comme unique analogie d’avoir été réalisées par des étudiants de l’École supérieure d’art des Pyrénées. Dans cet étroit périmètre, les huit artistes ayant répondu à l’invitation de la Vitrine ont dû entrelacer leurs messages sans faire perdre à leur travail son sens premier. Cette exposition, au-delà de nous présenter un échantillon de leurs réflexions, interroge donc  – par la particularité de son cadre – la notion même d’« exposition collective ». Que risque un plasticien à faire dialoguer ses pièces avec celles d’un autre ? Peut-être détériora-t-il son propos, peut-être lui fera-t-il perdre son intégrité… C’est le risque que présente cette exposition. Mais la volonté de créer une harmonie esthétique, sémantique et intellectuelle n’a pas englouti l’individualité des pièces et des artistes, elle a simplement créé un tout qu’il nous reste à décortiquer.

Camille Bardin

 

 

Artistes exposés: Virginie Cavalier, Cassandre Cechella, Luci Garcia, Aurèle Lafon, Léa Lalanne, Étienne Pinel, Maël Royet, Jade Wallyn Tyrou.

Projet coordonné par Nicolas Daubanes et Philippe Fangeaux , enseignants à l’ESA des Pyrénées – Pau Tarbes et en partenariat avec la Vitrine Régionale d’Art Contemporain de Millau (V.R.A.C).

Place des Consuls, 12100 Millau. Au pied du Beffroi, face à l’Office de Tourisme et à la Place Des Consuls.

Horaires d’ouverture : du 25 mai au 22 juin 2018 ; la VRAC est accessible à tous, en accès libre et gratuit, tous les jours, 24h/24.

Camille Bardin
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There is 1 comment on this post
  1. Tizié TO Bi
    juin 14, 2018, 6:13

    Vraiment. Je suis impressionné par cette facilité d’écriture. Dites moi, comment faire une critique d’exposition avec autant de mots ? J’espère avoir de vous, quelques astuces pour un débutant comme moi.
    Bien sincèrement Tizié TO Bi, depuis la Côte d’Ivoire…

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