Florian Mermin ou les domaines élégiaques


La terre et les écorces étouffent les pas des visiteurs. Nous sommes bien dans une galerie, mais les œuvres se découvrent dans une odeur de sous-bois et presque par détour. Florian Mermin conçoit ses expositions ou ses installations en pensant le moindre recoin. Ici une paire de chaussure en céramique, là des trognons de pommes séchées soulignent encore la dimension olfactive et narrative du parcours. Il ne s’agit pas, pour celui qui se revendique avant tout sculpteur et créateur d’objets, de simplement montrer des pièces mais plutôt de créer un univers dans lequel les intégrer. Une même pièce peut circuler d’un lieu à un autre pour raconter, selon les associations ou la mise en scène et les lumières, différentes histoires. Il importe que le visiteur se sente physiquement impliqué ; on peut ainsi se projeter dans une nuit en forêt, un après-midi à prendre le thé ou encore un crépuscule en bord de mer. Sans doute, le fait que l’artiste ait aussi cherché à créer par le jeu vidéo un espace temps où l’on puisse déambuler comme dans un rêve n’est pas à négliger. Particulièrement préoccupé par la manière dont un visiteur peut entrer dans un travail artistique, de manière générale et conceptuelle, il cherche à le rendre actif par le biais de différentes stimulations sensorielles.

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Vue d’exposition Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), crédits Grégory Copitet.

Les titres des différents accrochages introduisent dans chaque cas un imaginaire particulier, un lyrisme et une promesse de narration. Caresse de forêt ( le soir) où tu m’as quitté à Backslash Gallery en 2019 évoque ainsi une rupture autant qu’un espace d’intimité et de communion avec la nature. J’ai laissé la lumière du jour à Un-spaced Gallery en 2018 ou encore Replanter des choses oubliées en 2017 au salon de Montrouge, pour ne citer que les plus récentes, proposent elles aussi de singuliers éclairages sur les pièces exposées avec l’espace organique d’un jardin d’hiver ou celui plus spirituel d’une sorte de chapelle à la Lune. Si Florian Mermin affirme ne pas travailler l’écrit, hormis ses titres, il développe pourtant une poétique de l’espace. En partant du réel, puisque son journal de bord est essentiellement photographique, il cherche, notamment par la fiction, à nous faire dépasser notre expérience du réel. Il fait entrer dans la galerie, terreau, écorces et branches de sapins gorgées de sèves pour évoquer des paysages organiques où les fleurs peuvent se flétrir. Les lieux qu’il imagine sont remplis de signes que le visiteur est amené à assembler au travers d’une circulation, d’une narration. Le récit est indiciel, une rose à différents états de décomposition que l’on peut voir en collant son œil contre un tronc en bois de chantier, ou des vêtements épars dans l’exposition, comme une constellation de pétales de rose sur un sac poubelle laisse tout supposer de la fin du sentiment amoureux sans rien affirmer.

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Vue d’exposition Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), crédits Florian Mermin.

Florian Mermin petit à petit construit Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté) avec des idées de pièces jamais réalisées et une volonté de parler des rapports entres les espèces vivantes qui nous entourent, qu’elles soient humaines, animales ou végétales. « Le titre » indique-t-il « est arrivé un peu comme un nom de parfum […] il propose quelque chose d’hybride et une interrogation quant aux personnages de l’exposition : qui parle ? qui a quitté ? qui s’est fait quitté ? » L’accent fictif de ses expositions est pour l’artiste le moyen de « détourner » l’inspiration autobiographique de son travail ou bien plutôt de la sublimer. Les cheveux qui se fichent dans la sève et se collent au bois ou les poils incrustés sur les feuilles donnent le sentiment d’un prolongement de l’humain par la forêt. Les œuvres qu’il présente dans les expos jouent pour lui le rôle de personnage dans une histoire, ainsi l’ensemble de trois arbres coupés en bois de pin, Les sentiments ombragés (2019), a la taille de l’artiste en hauteur comme en terme de largeur d’épaule. Cette nature inquiétante et propice aux sentiments évoque une forme de romantisme comme il le revendique lui-même. Un regard appuyé sur le paysage permet de prendre la mesure d’une disparition. L’évolution des sentiments se lit particulièrement dans le motif de la rose qui n’est pas sans non plus reprendre la symbolique de La Belle et la Bête.

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Vue d’exposition Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), crédits Grégory Copitet.

On peut par moment face au travail de Florian Mermin penser au film de Cocteau, avec ces crochets qui évoquent des ronces, ces plantes carnivores en céramique qui évoquent une nature violente et passionnée. Leur position ne seraient d’ailleurs pas si éloigné si l’on reprenait au mot le réalisateur qui parlant des trucages de La Belle et la Bête déclarait « c’est parce que je veux du vrai irréel qui permette à tous de rêver ensemble un même rêve. Ce n’est pas le rêve du sommeil. C’est le rêve debout du réalisme irréel, le plus vrai que le vrai. » Bon nombre des sculptures de Florian Mermin empruntent au vocabulaire du domestique ou du mobilier et l’on peut par exemple reconnaître un vase, un service à thé ou encore un banc tout en restant d’authentiques sculptures. L’artiste se plait à expérimenter les limites et à explorer ce moment où l’aspect fonctionnel d’un objet peut disparaître au profit d’un objet d’art. Le faux même d’une certaine manière. « Parfois, la forme de l’objet contredit sa fonction originale comme des vases fendus en leurs fond, un banc d’épines, un miroir qui ne reflète plus, des chaussures trop dures pour qu’on puisse les porter. Ou encore il arrive que le protocole des objets contredise la fonction d’un supposé objet fonctionnel comme un vase fait pour accueillir uniquement des fleurs vivantes privées de leur eau. » On pourrait penser aux objets désagréables de Giacometti, par exemple, lorsque le poids de la pièce vient contredire sa fonction, comme un vase  en céramique lourd et donc difficile à manipuler mais c’est parfois l’ornement qui contrecarre la fonction de l’objet à cause de ses fragilités fines, délicates ou mal conçues rendant dangereuse l’utilisation de la pièce.

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Vue d’exposition Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), crédits Florian Mermin.

Les céramiques de Florian Mermin ont des formes ou des motifs naturels qui évoquent une longue tradition dans l’histoire des arts décoratifs et qui font parfois songer à Bernard de Palissy. L’utilisation de morceaux de nature dans l’espace d’exposition est pour lui un manière de créer une redite, qui vient souligner la sensibilité des matériaux mais encore d’installer une tension. Dans l’exposition se joue l’idée du cache-cache et du vrai et du faux. Les matières en évoquent d’autres ou jouent au trompe-l’œil. Qui est la copie de qui ? Nous sommes dans un univers de transformation, métamorphose et évolution où se côtoient des matériaux très contrastés et mêmes des objets récupérés. « Le rapprochement des matières industrielles et faites main se rassemblent spontanément, ils font partie d’une base de matières qui font partie de mon environnement, qui se côtoient dans la vie de tous les jours comme le meuble Ikea en bois reconstitué qui attend le camion poubelle sur le trottoir, appuyé contre un arbre. »

La question de l’art and craft est venue il y a quelques années dans le travail de Florian Mermin qui s’intéresse beaucoup aux productions de cultures populaires : macramé, rideaux, tapisseries… La lecture de l’art et l’artisanat selon William Morris peut aussi se sentir dans sa production qui résiste au standard et fait de l’irrégularité, de la fantaisie l’un des derniers bastions du sentiment et de l’humain. Dans les forêts poétiques et réserves naturelles de l’artiste, la céramique incite à la promenade et se fait élégiaque.

Henri Guette
Informations pratiques :

Image à la Une : Vue d'exposition Caresse de forêt (le soir où tu m'as quitté), crédits Florian Mermin.

Florian Mermin
Caresse de forêt (le soir où tu m'as quitté)
Exposition du 9 mars au 11 avril 2019
Backslash Gallery
29 rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris
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