Corentin Canesson , Retrospective My Eye – Le Crédac –


« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »

Robert Filliou

« Retrospective My Eye », tel est le titre de l’exposition personnelle de Corentin Canesson, présentée jusqu’au 2 avril au Centre d’art contemporain d’Ivry (le Crédac). Sa résonnance musicale est attestée, c’est un hommage direct au chanteur anglais Robert Wyatt. L’artiste lui emprunte l’une des paroles de Gharbzadegi, morceau tiré de son album Old Rottenhat, sorti en 1985. Corentin Canesson pratique lui même ce médium, et dès l’entrée de l’exposition, le ton est donné par les musiques de son groupe, The Night He Came Home. La porte se referme, le vinyle est en route et l’espace s’offre à nous.

La pratique artistique de Corentin Canesson est polymorphe, tout comme ses inspirations. Tous les médiums sont traités, mais la peinture règne en maîtresse du cérémonial imposé par l’artiste. La mise en scène élaborée dans l’exposition nous fait rentrer dans son univers. Corentin Canesson est à la fois artiste et curateur. Ce double positionnement nous rapproche de lui et de sa création. L’intime devient public. L’atelier de l’artiste semble être mis à nu. L’architecture du lieu participe à cet effet, les immenses verrières servant de fenêtres ouvrent une perspective et créent un lien direct avec la ville et son environnement. La structure est industrielle, tout comme sa pratique. La sérialité de son œuvre découle d’une chaîne opératoire qu’il élabore et applique inlassablement. Pour cette exposition, quinze toiles ont été réalisées.

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De gauche à droite : Corentin Canesson, Sans titre, 2016 (ensemble de 3) ; Jean-Pierre Dolveck, Sans titre, 1985 ; Corentin Canesson, Samson et Dalila, 2016. © André Morin / le Crédac

Cette production contrainte par la récurrence d’un même format (195 x 130 cm) exacerbe une mécanique expérimentale. L’artiste joue de l’antagonisme abstraction-figuration, en invoquant dans ses œuvres de multiples références clairement identifiables. Parmi celles de l’art du XXe siècle, l’artiste néerlandais Bram Van Velde et le peintre français Eugène Leroy. L’envie est de crier au pastiche, la notion d’auteur est ici soulevée. Pourtant, la pratique de Corentin Canesson s’inscrit dans un renouvellement perpétuel de la peinture. Le préfixe spécifie son art : recréation, recomposition, reconstruction. Corentin Canesson s’approprie la gestualité figurative de Bram Van Velde et l’empâtement singulier d’Eugène Leroy, tour à tour, sous couvert d’un art expressionniste américain. L’abstraction est universelle et ce legs artistique clairement assumé libère le motif, dès lors trituré à souhait. La matière s’accumule par le trait ou l’aplat, l’artiste prend le temps de la faire évoluer comme l’atteste les multiples repentirs visibles sur la toile. Le seul motif figuratif clairement explicite dans son œuvre est l’oiseau, passion issue des peintures de l’ornithologue américain Jean-Jacques Audubon et du plasticien Jean-Pierre Dolveck, dont une sculpture est présentée dans l’exposition.

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Corentin Canesson, vue de l’exposition Retrospective My Eye, Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac, 2017. © André Morin / le Crédac.

Corentin Canesson décloisonne la pratique de la peinture, celle-ci se retrouve sur de multiples supports. Cette transposition va de pair avec une peinture désormais « textuelle ». Deux œuvres exposées symbolisent ce passage, le dos de la veste en jean tagguée de la phrase « Seul et grégaire » (2016), et la Porte palière (2013) sur laquelle on peut lire « Ce que je crus voir cette nuit-là sous l’ironique lune jaune » qui provient de l’exposition de son ami François Lancien-Guilberteau. Corentin Canesson fait appel à d’anciennes expositions, dans lesquelles il a également tenu ce double rôle, d’exposant et d’exposé. Ces deux œuvres introduisent la notion de collectif, essentielle dans son art. Sa pratique picturale se complète par l’art numérique, majeur dans la production artistique contemporaine. Corentin Canesson est bien un artiste de son temps. La vidéo diffusée en boucle synthétise dix-huit années d’émulation commune (1999-2017) entre lui et Damien Le Dévédec, rencontré aux Beaux-Arts de Rennes. Elle devient l’archive de leurs performances. Le masque est le symbole du brouillage identitaire souhaité par les artistes, qui revêtent chacun à leur tour cette deuxième peau, ce deuxième visage. Deux masques faits de silicone et de plâtre par Damien Le Dévédec sont exposés en quinconce sur une table, à notre portée.

L’exposition nous offre un regard rétrospectif sur l’ensemble des pratiques de Corentin Canesson. Balayant tous les médiums accessibles, l’artiste jette son dévolu sur une peinture expérimentale, subjective et loin d’être désuète. « Retrospective My Eye » semble être également l’exposition de son entourage artistique, Corentin Canesson cite volontiers ses amis artistes, ses compagnons de route qui l’inspirent dans sa création. En parallèle, « Rappelle-toi de la couleur des fraises » est la seconde exposition de l’artiste Lola Gonzàlez, présentée au Crédac jusqu’au 2 avril. En concordance avec celle de Corentin Canesson, cette notion d’émulation artistique guide les pratiques des artistes.

Diane Der Markarian

 

Image à la une : Corentin Canesson, vue de l’exposition “Retrospective My Eye”, Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac, 2017. © André Morin / le Crédac. Au premier plan : Damien Le Dévédec, x x (tirage n°1), 2017 ; Damien Le Dévédec, + + (tirage n°3), 2017. Au second plan : Corentin Canesson, Sans titre, 2016 (ensemble de 3).

Diane Der Markarian
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