Janaina Mello Landini – Aglomeração


Prenez une corde et commencez à la détisser. Détissez et déliez ses composants, encore et encore, jusqu’à réussir à subdiviser en unités son unité. Poursuivez en libérant de leur torsion ces milliers de fils emprisonnés qui la composent. Dégagez la de son poids et de sa masse. À la fin, que vous reste-t-il ? Un fil : une unité indivisible. C’est par le biais de cette déconstruction que l’artiste brésilienne Janaina Mello Landini cherche le moyen de connecter les fils des cordes de nylon, de dipado ou de coton qu’elle découd. Depuis 2010, c’est cette logique qui est au cœur de sa série Ciclotrama. Un mot qu’elle a inventé et que l’on pourrait définir de la sorte : une succession de cycles (cyclo), de trames (trama) de fils se déployant en un cercle continu (Ciclotrama 121). L’évolution de son œuvre atteste de la complexité d’une technique en perpétuel renouvellement, mettant de côté l’apparente facilité de ce processus. Pour preuve, la nouvelle série d’œuvres nommées en portugais Aglomerações (agglomérations) que l’artiste présente jusqu’au 14 novembre à  Paris à l’occasion de sa deuxième exposition personnelle à la Galerie Virginie Louvet.

Janaina Mello Landini, Ciclotrama 121, 2018, Dipado brodé sur toile de lin 200 x 200 cm. Crédit photographique : Emilie Mathé Nicolas. © Galerie Virginie Louvet, Paris.
Janaina Mello Landini, Ciclotrama 121, 2018, corde en dipado brodée sur toile de lin 200 x 200 cm. Crédits : Emilie Mathé Nicolas. © Galerie Virginie Louvet, Paris.

Les cordes qu’elle utilise ne se détissent pas dans l’espace mais sur une toile. Pour cette architecte de formation l’appréhension de l’espace est une condition matérielle qui guide par étapes la réalisation de son œuvre. Un avant-projet définit le moment de la performance qu’elle programme, mais n’exclut pas pour autant le hasard d’un potentiel accident, la rupture d’un fil. Qu’il s’agisse d’un espace architectural en trois dimensions ou d’une toile de lin ou de voile de bateau en deux dimensions, le travail de Janaina Mello Landini exprime une même tension : la fusion de l’espace et du temps. L’artiste aime  penser et anticiper ce que son geste peut faire advenir de nouveau ; tout doit découler d’une logique. Référence explicite à ses études en mathématiques et en physique. Le support de la toile se fait donc le réceptacle d’une superposition de niveaux de fils dont l’aspect général crée un effet de miroir de son propre système. Cet entremêlement de torsions crée un chemin le long de la surface, qui est le résultat d’une structure d’unités de forces complémentaires. La lecture de cette trace recompose la trame hiérarchique de cet équilibre parfait que permet l’interaction entre chaque fil (Ciclotrama 129).

Janaina Melo Landini Galerie Virginie Louvet
Janaina Mello Landini, Ciclotrama 129, 2018, corde en nylon brodée sur voile de bateau, et cleat en acier inoxydable, 135 x 135 cm. Crédits : Émilie Mathé Nicolas, © Galerie Virginie Louvet, Paris.

De cet agrégat de fils aucune forme n’est réellement recherchée par l’artiste. La représentation finale laisse libre court à notre propre interprétation. Notre perception est ainsi dégagée de toute recherche de sens. Formes naturelles, arborescences, organes humains… la vision de l’organisation de ces fils est transcendée par une seule et même dynamique : l’interconnexion du mouvement des fluides (Ciclotrama 123). Et c’est justement ces fluides organiques et naturels qui forment le socle réflexif de l’œuvre de Janaina Mello Landini. Dans ce corps à corps avec le fil, elle modélise son mouvement afin de rendre compte que la transmission des flux est similaire à tout système. Tel un palindrome, son œuvre oscille entre deux entités, l’une entropique – détérioration d’un système – et l’autre syntropique – action convergente de différents facteurs ; elle rend compte de l’organisation universelle du monde, qui selon l’artiste résulte de leur relation. 

Du centre à la périphérie, du minimum au maximum, c’est finalement l’interdépendance entre l’individu et le collectif que Janaina Mello Landini rapproche au sein de ses œuvres.

Diane Der Markarian

 

Janaina Melo Landini Galerie Virginie Louvet
Janaina Mello Landini, Ciclotrama 123, 2018, fils de coton brodés sur toile de lin, 120 x 85 cm. Crédits : Émilie Mathé Nicolas, © Galerie Virginie Louvet, Paris.

 

Image à la une : Janaina Mello Landini, Ciclotrama 129 (détail), 2018, corde en nylon brodée sur voile de bateau, et cleat en acier inoxydable, 135 x 135 cm. Crédit : Émilie Mathé Nicolas, © Galerie Virginie Louvet, Paris.

Actuellement, une installation in situ de la série Ciclotrama est visible à la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles, France.

Diane Der Markarian
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There is 1 comment on this post
  1. octobre 30, 2018, 9:44

    Je vous remercie de nous avoir fait connaitre cette artiste dont je trouve la démarche conceptuelle fascinante!
    Plus que jamais les artistes ont besoin de médiateurs tels que vous pour toucher de manière attentive un public saturé d’image et de concepts dans lesquels ils errent sans oser acheter à des artistes peu célèbres et innombrables …
    Seul ce type de critique peut aussi nous faire avancer nous, en tant qu’artiste…
    Et savez vous quel est la tragédie du créateur aujourd’hui-je prend comme exemple Mlle Landini- combien de tableaux et d’installations doit elle faire maintenant que l’on a compris son message et son concept pour vivre un peu de son idée? 10 , 100, 1000 ? Avec différents matériaux , avec des cordes , des cables, des racines, en bleu en rouge en couleur naturelle ? Doit elle les disposer à plat en sphère et cube en video? Doit elle chercher à être totalement désincarnée ou aller vers le sensible? Et si elle ajoute à cette idée autre chose, ne va t elle pas affaiblir la puissance de ce projet?
    …et le véritable challenge n’est il pas de construire , plutôt que de déconstruire?
    La véritable beauté la corde, plutôt que ses fibres?

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