Grayson Perry, à la recherche de l’homme nouveau


Du 19 octobre 2018 au 3 février 2019, la Monnaie de Paris accueille la première rétrospective française de Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité. Elle invite le public à découvrir cet artiste britannique, particulièrement populaire outre-manche depuis sa consécration par le Turner Prize en 2003.

Né en 1960, Grayson Perry est généralement rattaché à la génération des Young British Artists1. Pourtant, il s’en est toujours démarqué. Tant par les médiums qu’il privilégie (céramique, tapisserie, etc.) que dans les thèmes qui lui tiennent à cœur (le genre, la sexualité, les disparités socio-économiques, etc.). Son travail se caractérise par une esthétique pop, des traits naïfs et des couleurs vives. À travers ce kitsch british couvert de cynisme, il porte un regard critique sur la société anglaise. Il fait de l’humour le vecteur essentiel de son discours avec une efficacité redoutable : « Les idées les plus complexes n’excluent pas nécessairement le divertissement. »2

Grayson Perry | Monnaie de Paris
Vue de l’exposition Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité, © Monnaie de Paris | Martin Argyroglo.

Il adopte la céramique à partir des années 1980 car elle a l’avantage d’être peu coûteuse. Celle-ci est alors particulièrement méprisée par le milieu artistique qui lui reproche sa dimension artisanale. Grayson Perry développe progressivement une maîtrise technique exceptionnelle, aussi bien dans la forme que dans les procédés de décors (émail, insertion de photographie, ciselure, etc.). Il est attaché à produire lui-même ces pièces, ce qui est aujourd’hui de plus en plus rare avec l’avènement des studios d’artistes fourmillant d’assistants. La tapisserie vient ensuite (assistée par ordinateur) puis la couture (fruit de commande à ses étudiants). L’appropriation de ces médiums souvent associés au féminin ne semble pas anodine.

En effet, une des problématiques omniprésentes dans le travail de Grayson Perry est la question du genre, à la fois dans ses stéréotypes et ses alternatives. Très jeune, il découvre un plaisir dans le travestissement. Il assume pleinement ce besoin à travers sa pratique artistique en créant son alter ego, Claire. Si Claire est dans un premier temps très conventionnelle (mise en pli, collier de perle, tailleurs pastels, etc.), elle devient rapidement très excentrique, toute en froufrous et talons compensés. Il interroge, par sa propre expérience, les clichés rattachés au travestissement (souvent associé à l’homosexualité ou au transexualisme) : « Je ne veux pas être une femme, mais je suis un homme qui aime porter des robes, qui s’y sent même contraint. »3

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Vue de l’exposition Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité, © Monnaie de Paris | Martin Argyroglo.

L’artiste introduit ainsi une réflexion sur la masculinité et tente de la redéfinir. Les concepts de masculinité et virilité sont souvent confondus, ils ne sont d’ailleurs pas distingués clairement dans ses propos. La virilité est un type de masculinité, souvent considérée comme une forme d’idéal à atteindre pour beaucoup. Aujourd’hui, la virilité est remise en question de par son aspect parfois destructeur, aussi bien sur les hommes (qui subissent une injonction à la virilité) que sur les femmes (par une domination masculine). Son livre The Descent of Man, publié en 2016, tente de proposer d’autres modèles, en accord avec une pensée féministe et une société plus égalitaire.

Sur les murs de l’exposition, un appel à la révolte retient mon attention :

Hommes, asseyez-vous pour défendre vos droits !

Le droit d’être vulnérable

Le droit d’être faible

Le droit de se tromper

Le droit d’être intuitif

Le droit de ne pas savoir

Le droit de ne pas être sûr

Le droit d’être flexible

Le droit de ne pas avoir honte

de rien de tout cela.

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Vue de l’exposition Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité, © Monnaie de Paris | Martin Argyroglo.

Grayson Perry invite ainsi les hommes à repenser leur identité, alors même que cela ne semble pas évident :

Il est rare que les hommes – en particulier les spécimens blancs, d’âge moyen et de la classe moyenne – soient contraints de prendre conscience de leur identité. Elle leur est acquise sans effort ; l’identité ne devient un enjeu que lorsqu’elle est source de friction avec la société.

Outre Claire, une autre figure vedette dans l’Œuvre de Perry offre une alternative masculine : Alan Measles, l’ours en peluche de son enfance. Alan se présente comme le nouvel idéal masculin, « assumant sa part féminine », que l’artiste va jusqu’à diviniser dans certaines œuvres, le présentant sous la forme d’idole dogu ou d’un guerrier invincible.

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Alan Measles en figurine pubienne préhistorique dogu dorée, 2007, céramique émaillée, © Monnaie de Paris | Martin Argyroglo.

Si la réflexion de Grayson Perry sur la masculinité semble extrêmement construite, elle m’est apparue au cours de l’exposition paradoxalement assez binaire. En demandant aux hommes d’accepter « leur part féminine », Grayson Perry semble émettre ici l’idée que certaines qualités sont féminines (tels que la bienveillance, la patience, l’expression des sentiments) et d’autres masculines. Il est possible d’emprunter à chacun mais ces qualités sont clairement rattachées à un sexe d’origine. Or, à mon sens, les sentiments n’ont pas à être justement définis comme le propre de la femme. C’est cette pensé qu’il faudrait déconstruire pour arriver à une vraie égalité des sexes. Afin de bouleverser un système structurant les genres, il faudrait cesser d’associer certaines qualités comme spécifiques à un sexe, à un genre et les percevoir comme relatives à des personnalités, des individus singuliers dans leur manifestation au monde. Les hommes s’exprimeront peut-être d’avantage le jour où l’on cessera de leur dire qu’il s’agit d’un acte féminin.

Pauline Schweitzer

1 Groupe d’artistes contemporains britanniques désigné ainsi suite à l’exposition du même nom organisée à la Saatchi Gallery en 1992. Il comprend notamment Damien Hirst, les frères Chapman, Tracey Emin…

2 Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité, cat. expo, Helsinki, Museum of Contemporary art Kiasma, (13 avril – 2 septembre 2018), Paris 11, Conti-Monnaie de Paris (19 octobre 2018 –3 février 2019), p. 26.

3 Ibidem.

 

 

Pour aller plus loin :

  • Exposition Man as Object – Reversing the Gaze, organisée par The Women’s Caucus for Art, SOMArts Cultural Center à San Francisco, 2011.
  • Exposition Chercher le garçon, Frank Lamy (commissaire), Mac/Val, Vitry-sur-Seine, 2011.
  • Angela Dimitrakaki, Gender, artWork and the Global Imperative: a Materialist Feminist Critique, Manchester University Press, Manchester, 2013.

 

Image à la Une : Vue de l’exposition Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité, © Monnaie de Paris | Martin Argyroglo.

Grayson Perry, Vanité, Identité, $exualité
La monnaie de Paris
11 quai de Conti
75006 Paris
Du 19 octobre 2018 – 3 février 2019
https://www.monnaiedeparis.fr/fr

 

 

Pauline Schweitzer
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There is 1 comment on this post
  1. Racana
    février 05, 2019, 6:17

    Votre conclusion me semble correcte.

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