Célia Gondol, De Rerum Natura


Dans ma vision lunaire
La vie est un défi
La mort une métaphore
La science un détour
Le ciel une toile bleu
Couvrant un fond vide
O Lunático, Sebastião Marinho

 

Au commencement était le verbe.

L’improvisation de Sebastião Marinho revient sur l’origine du monde et les grands principes scientifiques. Dans son poème, le chansonnier brésilien évoque aussi bien le Big Bang que la théorie des codes, l’effet papillon ou encore le chat de Shrödinger. À même la rue, il versifie formules quantiques et autres exercices de pensée sur les rythmes et les mélodies populaires du repente. L’art du vers spontané est partagé de manière encore très vive dans le nord-est du Brésil où Célia Gondol a mis en place différents projets. En proposant à un spécialiste de mêler les codes traditionnels d’une littérature orale aux lois de la physique, l’artiste établit une nouvelle cosmogonie. Il ne s’agit pas d’échafauder des thèses, encore moins de les vérifier, mais surtout de s’emparer de la réalité par d’autres moyens et de créer une poétique.

Photo©Grégory Copitet
Captation du chant O Lunático de Sebastião Marinho, 2018, photo©Grégory Copitet.

L’univers est une chose trop précieuse pour être laissé aux seuls soins des scientifiques. Par-dessus le chant O Lunático, qu’elle propose aux visiteurs sous la forme du folhetos, clin d’œil cette fois-ci à la littérature de cordel, Célia Gondol surimpose une autre trame sonore, celle de trois voix qui vont et viennent en s’entrecroisant dans des polyphonies enveloppantes. En travaillant des vocalises à la manière de signaux de la NASA, elle brouille encore les champs de la technique et de l’artistique. Le son devient signe et comble les distances, nous renseigne sur un Au-delà. Elle invente avec sa performance O Universo nu un nouveau rituel, où il suffit de fermer les yeux pour approcher d’un état de transe. En prêtant attention aux moindres souffles et gestes, l’artiste cherche à développer chez le visiteur un état de conscience supérieure telle la prescience des mouvements de la nature dans une valse lente avec des feuilles de bananier dans Slow ou comme le mouvement des astres encore une fois avec O Universo nu présentée à la galerie Monteverita en octobre-novembre 2018.

La partition créée pour cette première polyphonie sans parole a été encodée dans un langage binaire et gravée sur un disque d’inox à la manière de la sonde Voyager. La ressemblance n’est pas fortuite, quand bien même Célia Gondol n’a pas envoyé son œuvre dans l’espace, elle induit un même rapport à la communication. Quand bien même nous n’avons pas de preuves de l’existence de vie intelligente dans l’univers, nous avons quand même supposé un interlocuteur capable de déceler dans ce message une affirmation de notre présence. Le disque d’inox présuppose un même acte de foi envers un destinataire inconnu, arrivera-t-il à déchiffrer et qu’en retiendra-t-il ? Dans l’exposition Physical Meanings, la recherche d’un langage commun va de paire avec un travail de la base informatique et machinique. L’artiste passe d’un médium à l’autre pour revenir à une logique élémentaire et à un message irréductible, celui peut-être d’un élan vers l’autre.

Arrêt sur image du film Visite, Célia Gondol, 2016
Arrêt sur image du film visite, Célia Gondol, 2016, photo©Grégory Copitet.

Avec les discours de physique versifiés par un poète, un chant transformé en code binaire ou encore le dessin d’une constellation décliné dans le tracé méditatif d’un mandala (Who ordered that?”) Célia Gondol pratique fréquemment la transposition. Lors de sa résidence avec la Fondation d’entreprise Hermès au sein des ateliers de soierie lyonnaise, elle établit une correspondance entre les gestes d’une visiteuse, les femmes qui inspectent les tissus qui sortent de l’atelier et le discours d’une astrophysicienne. Tandis que l’une repère les défauts du tissage, l’autre scrute dans le ciel l’apparition ou la disparition des étoiles. L’artiste ordonne les signes et réunit en un même film visions microscopique et macroscopique. Ce sont deux grilles de lecture du monde qui un instant cohabitent et donnent l’impression de voir un ciel dans une tapisserie. Tout le travail de l’artiste est de trouver ces points de bascules, ces associations qui donnent à éprouver la nature du monde.

NKR_9205_BD - Photo©Grégory Copitet
Vue de l’exposition Physical Meanings à la galerie Monteverita, 2018, photo©Grégory Copitet.

De la même façon que Lucrèce avait dans son De Rerum Natura entrepris en vers de révéler la nature des choses, Célia Gondol s’attache à traduire ces épiphanies qui permettent de comprendre notre environnement. Les notions de beauté et d’harmonie que l’on trouve chez le poète latin se retrouvent étrangement dans la pratique de l’artiste qui traite des cycles de la vie comme de la physique atomique. Ses recherches à Bangkok où elle s’était livré à un certain nombre d’essais sur un terrain vague participent d’une même démarche empirique qui vise à reconnecter le visiteur avec l’observation. Elle avait ainsi commencé par quadriller l’espace avant de se livrer à différents actes comme la plantation d’une graine ou l’abandon d’un objet afin d’en saisir les conséquences. L’ensemble des conclusions a été compilé dans un livre qui répertorie un ensemble de phénomènes terrestres, entre visible et invisible. Une philosophie commune à l’épicurien s’en dégage et nous invite à profiter du moment, à sacrer le bruissement des feuilles en les couvrant d’or. Dans deux vidéos, l’artiste réunit les géographies du Brésil et de la Thaïlande autour de ce même geste précieux et d’une temporalité suspendue. À sa façon, elle dresse elle-même le plus beau des poèmes scientifiques.

Henri Guette
INFORMATIONS PRATIQUES :

Physical Meanings
Exposition du 13 octobre au 24 novembre à la galerie Monteverita
127 rue de Turennes, 75003 Paris
http://monteverita.com/celia-gondol-2/

Image à la une : "Who ordered that ?", Célia Gondol, 2017, photo©Grégory Copitet.
Recommend
  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIN
  • Pinterest
Share
Leave a reply

You must be logged in to post a comment.