Surprendre la vie de la matière avec Chris Dorosz


A première vue, un visage esquissé de larges touches de couleur. La peinture semble appliquée par empâtements, pour un résultat de l’ordre de l’esquisse, du croquis. Chris Dorosz, artiste canadien installé à San Francisco, ne dresse pas de portrait fini, on remarque encore la toile en arrière-plan. Si les traits ainsi brossés peuvent attirer l’œil, qui se perd un instant dans le relief pictural, on aurait tendance à passer notre chemin rapidement. Mais justement, il suffit que l’on commence à partir pour que la magie opère, et que l’œuvre se dévoile. Car en réalité, la peinture n’est pas appliquée sur la toile, mais se trouve en suspension devant celle-ci. On distingue en effet une myriade de fils de nylon, sur lesquels sont figées les touches d’acrylique.

Untitled, Dorosz

Untitled, Chris Dorosz, acrylique, nylon, toile, bois, courtesy de l’artiste

On croirait assister à la fragmentation d’une tête à la manière d’un dessin industriel, donnant à voir tous les éléments d’un même objet. Chris Dorosz nous permet une plongée dans la représentation de la matérialité pure, comme si celle-ci était regardée au microscope. Nous pouvons ainsi observer ces lignes vigoureuses, qui semblent animées d’une vie propre, faisant et défaisant les contours d’une bouche, d’une oreille, d’une arcade sourcilière… Cette matière picturale toujours changeante, en perpétuel réagencement, est le fruit d’une réflexion de l’artiste autour de l’analogie entre la peinture et les molécules organiques.

« A partir de ma découverte des matériaux, j’ai compris quelle était la primauté de la goutte de peinture. Elle prend sa forme non pas d’un coup de pinceau ou par quoi que ce soit comme intervention humaine mais purement à partir de sa propre viscosité et l’air à travers lequel elle tombe. J’ai commencé à considérer cette primauté comme analogue aux briques de la vie qui forment le corps humain (l’adn) ou sa représentation imitée (le pixel). Avec ça à l’esprit j’ai travaillé dans l’optique de créer une narration par les matériaux, pour jeter les bases d’une exploration des idées changeantes de la physicalité humaine. » Chris Dorosz

Depuis l’expressionnisme abstrait d’un Jackson Pollock et ses dripping, les explosions de peinture d’une Niki de Saint Phalle, ou encore les anthropométries d’un Yves Klein, les artistes peintres ont toujours cherché de nouveaux moyens d’exploiter ce matériau, de l’approcher autrement. Chris Dorosz renouvelle la pratique picturale en proposant de donner à la peinture la liberté d’exploiter l’espace dans sa tridimensionnalité la plus totale. Si la peinture s’était déjà faite relief, comme par exemple dans les compositions d’Anselm Kiefer, elle apparaît ici lestée de tout support. N’étant plus aucunement rattachée à une surface plane, elle donne l’impression d’être capturée sur le vif, montrée à un instant T. Flottante, mouvante, enfin vivante, la peinture n’est pas encore prête de passer la main.

Irène Cavallaro

En savoir plus :

Le site de l’artiste : http://chrisdorosz.com/

Visuels : Courtesy de l’artiste et de la Scott Richards Contemporary Art, San Francisco

Irène Cavallaro
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There is 1 comment on this post
  1. Tizie TO Bi
    novembre 17, 2017, 1:51

    Vous êtes vraiment doué chers membres de ” Jeunes critiques d’art”.

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