Père Mérelle, raconte-nous une histoire !
Dans l’espace vide d’une feuille de papier blanc, un petit bonhomme sorti d’un roman d’aventures entre en scène pour affronter de drôles de péripéties. Barbe mal rasée, maillot en coton et bas de pyjama à rayures, il se promène toujours pieds nus, parfois en compagnie de ses deux vaillants acolytes : une fillette haute comme trois pommes et un bambin peluche à la main. Qu’il vole parmi les flamants roses ou escalade un poteau en bois pour échapper à un python, ce boute-en-train défie les lois de l’apesanteur et de l’entendement.
Son narrateur et dessinateur revêt lui aussi la même barbe, la même coupe de cheveux et les mêmes traits du visage. C’est parce que du bout de son crayon, Fabien Mérelle conte son quotidien imaginaire. Si sa poésie est fictive et personnelle, elle est plus encore universelle, accessible à tous, en s’exprimant par le langage des sentiments humains.
« Dessiner, c’est une manière d’être au monde. »
Fabien Mérelle en avril 2018.
La petite histoire du conteur
Si Fabien Mérelle vit aujourd’hui mille et une histoires, son « Il était une fois » a démarré 37 ans plus tôt, dans la même ville foulée autrefois par Pierre Bonnard et Maurice Toussaint. C’est sur ce fécond terreau d’artistes de Fontenay-aux-Roses en Île-de-France que le jeune garçon s’épanouit entouré de sa sœur et ses parents. A l’école déjà, il dessine son père et sa mère avec un goût prononcé pour le détail « J’avais une approche analytique : je représentais mon père en tenue de travail en prenant bien soin de figurer sa cravate » se souvient-il de lui à l’âge de 4-5 ans. Comme pour tous les enfants, les premiers dessins de Fabien Mérelle imitent, inventent et recomposent le monde de formes et de couleurs. Comme pour tous les enfants, le dessin est son premier langage. Mais à la différence d’eux, lorsqu’à l’âge de 6 ans il convient d’apprendre à lire et écrire pour s’exprimer comme un grand, Fabien Mérelle, lui, ne repose pas ses crayons de couleur.
Son imaginaire croît au fil des années, des rencontres et des voyages en Italie. Entre Naples et Rome, il profite de visites à sa famille maternelle pour côtoyer ses grands héros : Léonard de Vinci, Michel-Ange, Le Bernin, Pontormo… A l’heure où ses camarades collectionnent les étiquettes Panini, le jeune garçon préfère collecter mentalement les dessins, sculptures et peintures des grands maîtres de la Renaissance. Sans repère, ni connaissance historiques, il s’immerge innocemment dans le temple de l’art, y prend goût naturellement, se sentant attiré par une ferveur mystique inexplicable. Avec son père, il joue à se trouver des ressemblances physiques parmi les bustes antiques romains. Nez aquilin et menton levé semblables, Fabien Mérelle s’imagine partager la même filiation que ces illustres inconnus en pierre. Mais plus encore, il se les représente vivants et prend alors conscience de contempler une trace de leur existence. « Ces sculptures antiques étaient pour moi comme des individus passés devant un photomaton, se rappelle-t-il. Ce sont des gens qui, comme nous, avaient vraiment existé. »
Ces plaisanteries légères sur ses similitudes communes avec ces statues intemporelles ne présageaient-elles pas, déjà, les prémices de la construction d’un univers artistique et autobiographique ? N’étaient-ce pas, encore là, le signe d’une volonté de se mettre, lui aussi, devant un photomaton pour transmettre son existence et laisser une trace à ses proches, notion si chère aux yeux de l’artiste ? Quoi qu’il en soit, Fabien Mérelle passe aujourd’hui toujours devant l’objectif de son appareil photo avant de saisir son crayon, comme pour mieux s’ancrer dans notre monde.
L’ordinaire d’un quotidien imaginaire
« Fabien est quelqu’un qui n’est pas pris dans des histoires de mode. Son travail est très personnel. On voit qu’il cherche au fin fond de lui-même des choses qui n’appartiennent qu’à lui. […] Fabien est en dehors des modes et j’en suis ravi. »
Gérard Garouste en 2010.
Dans son atelier à Tours, des livres, des feuilles blanches, des photos et des crayons. Ce même décor, ces mêmes outils, le suivent depuis toujours et partout, de sa résidence de quatre mois en Chine à son année madrilène, en passant par Gentilly en banlieue parisienne et, bien évidemment, son actuelle maison jaune Tourangelle. Fabien Mérelle a ce besoin invariable de se recréer une atmosphère constante et bien définie. « En art, comme en amitié, dit-il, j’aime avancer avec ce que j’ai démarré : du papier Canson, mon crayon et les amis que j’ai depuis l’âge de 3 ans ».
Si son atelier l’accueille pendant de longues heures, nécessaires à l’élaboration d’un dessin minutieux, il est pourtant le lieu marquant le point final d’un important processus de création. Chaque projet naît de son environnement et de sa condition d’homme : être père de famille, un mari, un être humain entouré d’êtres vivants. Sa femme, ses deux enfants, ses parents mais aussi la nature et les animaux l’accompagnent dans ses pérégrinations imaginaires quotidiennes. Au milieu d’eux, il cherche sa place, essaie de la comprendre, de l’assumer. Fabien Mérelle se regarde pour mieux regarder ce qui l’entoure. C’est ainsi qu’il explore ses émotions, de la joie à la tristesse, en se mettant en scène dans des situations ubuesques : il construit un radeau de fortune avec de vieilles planches en bois récupérées, il se fabrique un costume de robot en carton ou il visse une casserole sur sa tête et tient un balai pour affronter un ennemi invisible.
Ces performances confidentielles sont immortalisées par une prise de vue photographique destinée ensuite à être accouchées sur papier par le crayon du dessinateur. Ces clichés servent majoritairement de base à tout nouveau projet. Vient après le travail d’atelier pendant lequel Fabien Mérelle s’applique sur sa feuille blanche à crayonner zone par zone, pour recréer avec sa plume chaque contour, chaque ligne, avant de colorer les ombres à l’aquarelle.
L’utilisation de la peinture à l’eau est assez récente dans son parcours et témoigne, une nouvelle fois, d’une évolution de la relation qu’entretient Fabien Mérelle avec son image. A la trentaine passée, l’homme a observé les effets du temps sur son corps. La prise de conscience de cette matérialité a renouvelé son regard et sa pratique par la représentation du volume dans son œuvre. De cette mise en relief dans ses dessins, Fabien Mérelle s’est également essayé au tridimensionnel en réalisant des sculptures issues des portraits dessinés. Si celles-ci sont principalement hyperréalistes, évoquant la technicité de Maurizio Cattelan ou Ron Mueck, elles tendent toutefois à « se poétiser » en renonçant à la couleur pour conserver la légèreté de son univers, comme en témoigne la prise d’empreinte réalisée avec son père en 2016. « Actuellement, j’expérimente la mise en volume de mes dessins d’une façon à travailler davantage avec la lumière et l’absence de couleur, explique-t-il. Je cherche à conserver la poésie que je perds dans l’hyperréalisme. C’est un sujet de réflexion qui me passionne ! » La poésie, ou plutôt le poétique, est indubitablement manifeste dans l’univers dessiné de l’artiste. A lui d’en préserver toute sa fragilité dans le volume…
Un artiste d’intérieur
« Je dessine des dessins d’enfants d’adulte ».
Fabien Mérelle en avril 2018.
Si les dessins de Fabien Mérelle étaient écrits, ils seraient une succession de petits vers, rythmés et imagés, comme des haïkus. Ils pourraient être aussi des fables contées aux enfants, à ceci près qu’ils n’auraient pas pour finalité une morale.
Si les dessins de Fabien Mérelle étaient écrits, ils ne seraient surtout pas un recueil purement autobiographique. Car oui, l’artiste prend beaucoup de distance avec son image : « Mon travail est une interrogation sur ce qu’est d’exister. “Ah bon je suis cet homme-là ? Que faire de cette image ?”. Quitte à vivre avec mon image toute ma vie, autant essayer de l’apprivoiser. C’est aussi cela d’être. »
Pour être, Fabien Mérelle a donc choisi de se scruter en pyjama. Ce vêtement intime d’intérieur revêt une signification : il est l’habit par lequel nous entrons dans la sphère privée et personnelle. Nous quittons le jour, fermons la fenêtre à l’abri des regards et des bruits pour nous retrouver avant de nous échapper dans l’inconscient. Au moment de clore les yeux, les uns font le point sur leur journée, leur existence, les autres fabulent, espèrent. Le pyjama est cette manifestation d’une autre temporalité, d’un entre-deux où nous sentons en nous le débat intérieur entre ce que notre intelligence réclame et nos besoins, complexes, désirs, souvenirs ou pulsions indomptables. En ce point, le travail de Fabien Mérelle est confidentiel, inséparable de son for intérieur, et parallèlement, il touche également à notre sensibilité. C’est parce que dans le personnel, il y a toujours une part d’universel. Chez l’artiste donc, ce personnel devient universel parce qu’il embrasse notre propre intérieur d’une manière immédiatement compréhensible dans la forme.
Ses dessins, en effet, sont lisibles par tous et ont pour fil conducteur ce même petit bonhomme en pyjama rayé. A l’image de « ces personnages fictifs et irréels [qui] nous aident à mieux nous connaître et à prendre conscience de nous-mêmes » – pour reprendre les dires de l’écrivain François Mauriac à propos des héros de livres – il devient quasiment naturel de s’identifier au Fabien Mérelle de papier. Il est d’autant plus aisé de se projeter, que le dessin n’occupe qu’une petite place limitée, pas plus grande qu’une paume de main, dans l’espace blanc de la feuille. Cette absence de décor ouvre le champ des possibles et son infinité de scénarios : nous pouvons imaginer le personnage dans une forêt, dans un cirque ou parfois dans un cauchemar. La façon de le concevoir, de le regarder, en dit finalement bien plus sur nous que mille mots.
Et à ce jeu du regardeur-regardé, Fabien Mérelle s’y prête aussi volontiers dans ses propres dessins, en replongeant dans ceux qu’il avait griffonné enfant. Conservés et classés par son père, ces barbouillages naïfs aux couleurs vives sont réinterprétés avec ses yeux d’adulte. « Je me suis retrouvé devant cet enfant que j’étais. Je me suis rendu compte que la notion de jeu m’était essentielle mais que j’avais l’impression de l’avoir perdue… J’ai alors commencé à me représenter, tel que je suis aujourd’hui, comme le font tous les enfants, et je me suis soudainement remis à jouer. »
Tel un rituel instauré en 2005, Fabien Mérelle voyage dans le temps, une fois à chaque nouvelle décennie, en sélectionnant quelques dessins réalisés bambin, afin d’intervenir dessus pour leur rendre vie, en prolonger l’aventure et leur magie. Et peut-être plus encore, cette pratique lui permet de rester imprégné de ses racines, de cette source-mère vierge de tout code, de toute norme, au plus près d’un art spontané et immédiat.
Parmi ses réalisations d’enfant, l’une d’elles figurait la maison fantasmée du petit garçon des années 1980 : une demeure jaune sous un grand soleil. Circonstance hasardeuse, le foyer familial des Mérelle revêt la même couleur. Face à cette surprenante connexité, le dessinateur a repris son crayon pour poursuivre l’histoire commencée trente ans plus tôt, en se représentant, lui, tenant dans chaque main sa fille et son fils, devant cette maison chimérique devenue réalité. Tous les trois contemplent silencieusement leur chez eux, en toute simplicité. La métaphore est belle et d’une douceur manifeste…
Revenir aux sources, puiser à l’essentiel et rester fidèle aux valeurs qui constituent notre existence et notre identité sont les ingrédients chers à Fabien Mérelle. En relatant de sujets ordinaires mais élémentaires, en usant d’images rêveuses mais réalistes, son univers réveille le goût du sel de la vie. Parce qu’au-delà de ce qui nous anime, il y a une forme de légèreté dans le simple fait d’être, et qu’à chaque coup de crayon, Fabien Mérelle en trace le chemin depuis presque 40 ans.
Anne-Laure Peressin
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Né en 1981, Fabien Mérelle est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2006 et lauréat du prix Canson 2010. Il est ancien pensionnaire de la Casa Velázquez à Madrid. Il vit et travaille à Tours en France.
L’artiste est représenté par les galeries :
Art Bärtschi & Cie
Edouard Malingue gallery
Keteleer Gallery
Michel Soskine inc.
Praz Delavallade
A partir du 23 juin 2018, une sculpture monumentale issue d’un dessin de Fabien Mérelle le représentant lui et sa fille sera installée au Havre, au bout de la promenade de la plage à Sainte-Adresse. Les dessins de l’artiste seront montrés à la bibliothèque Niemeyer.
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Visuel présentation haut de page : Hippopotames 2016, Encre et aquarelle sur papier, 42 x 30 cm Courtesy of Fabien Mérelle and Art Bärtschi & Cie.