Marilou Poncin, plaidoyer pour la vulgarité


Marilou Poncin s’attaque aux fantasmes : sexuels de certains, sujets aux préjugés de bien d’autres. Des cam girls aux love dolls en passant par la bimbo, elle explore ces figures féminines semi-factices, façonnées par les désirs d’une société phallocrate et machiste, sans pour autant nier leur droit à exister pour elles-mêmes et par elles-mêmes.

Chacune de ses œuvres se penche ainsi avec humour et tendresse sur les dispositifs de fiction qui traversent nos imaginaires collectifs et individuels, et évoquent les interactions qui en découlent, fruits d’une recherche sensorielle et émotionnelle. Révélateurs des rapports au monde de leur créateur/utilisateur, ces fantasmes sont majoritairement virtuels, permis par les avancées technologiques des vingt dernières années. Les corps de la Femme, mis en scène, enchaînés aux stéréotypes de la féminité, s’émancipent enfin dans les mondes virtuels que recrée et explore Marilou Poncin : une jeune cam girl nous parle de son quotidien et de ses choix, rationnellement, légèrement, légitimement (Cam girl next door) ; l’artiste, devenue pour l’occasion Marilove, se trémousse sous nos yeux dans une réalité augmentée au rythme de la voix suave de Britney Spears (Let out the inner bitch). Ici les vocabulaires de la pop culture et de l’érotisme kitsch incriminent tout autant l’imagerie que les clichés avec lesquels nous, jeunes gens nés  dans les années 1990, avons grandi. Aujourd’hui, ces modèles semblent changer : confrontées à Internet, les définitions de la Féminité et la Sexualité épousent à présent, plus ou moins publiquement, une variété de codes et de possibilités. Les fantasmes se multiplient, comme autant de mondes virtuels ou tangibles pouvant être explorés. Malgré leur multiplicité et leur variété, seuls semblent encore avoir leur place les fantasmes hétéronormés et occidentalocentrés avec tout ce qu’ils comportent de racisme et de machisme.

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Marilou Poncin, Cam girl next door – courtesy de l’artiste.

Face à ce constat, l’artiste se saisit d’un nouveau monde, assorti d’une matérialité nouvelle : les love dolls. Bien réelles et réalistes, la finalité de ces poupées à la peau plus douce que la plus douce de tes copines, n’est plus seulement la pénétration et la jouissance masculine. Véritable substitut affectif, la love doll – dont la présence est encore peu publicisée en Europe – accompagne au Japon un grand nombre d’hommes et de femmes. En se penchant sur ce fantasme tangible, Marilou Poncin opère un tournant dans son travail : si ses sujets restent le réceptacle d’affects et de projections, leur matérialité les encre à présent dans le réel tandis que leur finalité les place dans le champ de l’émotion. Ainsi chacun des mondes fantasmagoriques qu’explore l’artiste dévoile nos rapports individuels et collectifs aux sociétés dans lesquelles nous vivons, entre goûts, désirs, manques et préjugés.

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Marilou Poncin, Cam girl next door Roxy’s room (vue d’installation) – courtesy de l’artiste.

 

Tous ces avatars sont théoriquement les projections d’une identité féminine unique, uniformisée, assignée et sexualisée ; pourtant, entre les mains-caméra de l’artiste, ils retrouvent une existence propre, une singularité sublime, qui nous rappelle le véritable sens du féminisme : laisser chaque femme libre de disposer de son corps comme elle l’entend, en acceptant de ne pas avoir l’apanage de la vérité absolue en matière de mœurs, d’apparences et de croyances, et ce sans jugements moraux. Je vous accorde qu’il ne s’agit pas là d’une mince affaire : sans vouloir me lancer ici dans une analyse des mouvements féministes et de leur histoire, force est de reconnaître que, bien trop souvent, nous faisons aujourd’hui face à un féminisme classiste et pas franchement décolonisé. La vulgarité fait partie de ces notions à forte connotation péjorative dont on oublie souvent qu’elle est fondamentalement construite sur des préjugés socio-économiques : ceux d’une classe dominante ayant les moyens économiques, politiques et culturels de définir ce qu’est le bon goût. Définir c’est contrôler. C’est établir ce qui est la norme et ce qui est la marge, ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas. Ainsi, aujourd’hui, accordons-nous pour redéfinir la vulgarité, débarrassons-la de ses connotations négatives, afin de pouvoir posséder pleinement nos corps.

En donnant la parole à ces femmes imaginaires mais tangibles, en faisant d’elles, non pas le sujet mais les actrices de ses œuvres, Marilou Poncin produit une œuvre politique et féministe, réhabilitant sans singer des codes esthétiques et sociaux qui, s’ils ne sont pas ceux de la bourgeoisie, ont tout autant droit de cité.

Marilou Poncin, Let out the inner bitch (détail) © Louise Desnos, courtesy de l’artiste

 

Pour aller plus (ou moins) loin :

https://marilouponcin.com
https://vimeo.com/usermarilouponcin

Le travail de Marilou Poncin est exposé du 21 juin au 7  juillet dans le cadre de l’exposition collective Futures of Love, aux magasins généraux, Pantin : https://magasinsgeneraux.com/fr/saisons/futures-of-love

Bourdieu Pierre, La Distinction, 1979.
Haddouk  Sébastien, Cagole Forever, Canal + Production, 2017, 52’.
Mamouni Lucie, « Lisa Bouteldja : reine de “la Beurettocratie », modzik, juin 2018.
Risselet Edouard, « Être chic est-il devenu vulgaire? », Magazine Antidote : Borders, été 2017.
Exposition The Vulgar: Fashion Redefined, Barbican Center London, 13/10/2016 – 5/02/2017.

Flora Fettah
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