lux in pluvia


C’est dans le cadre de la Luxembourg Art Week où je suis invitée en tant que membre de Jeunes Critiques d’Art, que j’effectue mon premier voyage de presse. J’arrive Gare de l’Est et m’installe dans le train direction Luxembourg donc, au Luxembourg. Pour notre information, il existe au moins cinq fromages originaires du « pays des 3 frontières » : le Berdorfer Kéis, le Kachkéis, le Mëllen Hëpperdanger, le fromage à la bière Battin et le Roude Bouf – je n’ai pu en goûter aucun. Aussi je pensais que «Luxembourg » avait un lien avec «Lux » (la lumière) et je trouvais ça un peu exagéré vu la météo, mais en fait non, c’est «Lucilinburhuc » qui veut dire petit château fort (en vieil allemand), et c’est beaucoup plus cohérent.

Nous nous rendons directement à la foire, où nous arrivons au milieu des fleurs et du chant des aspirateurs. L’attachée de presse, accompagnée de la directrice Caroline von Reden, nous convient à rejoindre la visite guidée. Assez vite désintéressée par le stand Ceysson & Bénétière, je m’extirpe discrètement (je crois) pour errer entre les stands vides. Sur le stand voisin, Dauwens & Beemaert Gallery, quelques jouets de la guerre, avion de plomb et boule-grenade de Noël sans personne ni texte pour accompagner ma visite. Je remarque progressivement que de nombreuses œuvres n’ont pas d’auteur·ices, pas de cartels aux murs, ni d’indices qui trainent sur les stands. Comme une gosse gâtée, je me sens dépossédée devant des pièces qui m’enthousiasment mais me refusent leur identité. Papiers s’il vous plaît ?

 

Adrian Pepe,  Malus Sieversii (détail), 2020, courtesy La La Land Galerie, ph Adèle Anstett

Au bout d’une allée, deux tapisseries d’Adrian Pepe, de la série Entangled Matters . Ravie de retrouver son travail que j’ai découvert en septembre à la foire Menart, je contemple les petits poux dorés du mouton enfanter des bouloches de laine.   

C’est la galerie La La Lande qui le représente, par chance, ils sont déjà là. Leur petit îlot rayonne d’une douce énergie malgré les bourrasques et la pluie qui menacent la toile de la tente au-dessus de nous.

On m’introduit aux cadres colorés d’Eser Gündüz, qui convoquent notamment les nuages du premier Mario Kart. Au devant du stand, une table de chevet de bois et de marbre abritera les reliques de bronze d’une civilisation perdue, mais ces œuvres d’Aïcha Snoussi ne sont pas encore arrivées. Produites à Ouagadougou, on me dit que je pourrais les rencontrer à 15h. Malheureusement, je n’en aurai pas l’occasion. Je découvre que Horya a écrit sur le travail de Snoussi, je me note d’aller lire son texte.

En face de La La Lande, chez la galerie Octave Cowbell, la carte blanche du Cnap, intitulée Cheveux de Vénus, est intime. Derrière un voilage teinté, de petites « mamguerites » (madame-marguerite) dodues dansent en cercle accompagnées d’hommes de paille, un instant poétique et champêtre offert par Christelle Enault et François Génot.

 

Christelle Enault et François Génot, Ex-voto Sureau, 2023, courtesy galerie Octave Cowbell, ph. Adèle Anstett

Le groupe me rattrape et mon échappée s’interrompt. Mon esprit vagabonde et observe un trou de cheville pas rebouché qui jouxte un cadre et un perroquet empaillé. Je croise des régisseur·ses qui râlent et marchent vite. 

Quelques animaux fantastiques peuplent la foire : un renard tissé de Kiki Smith, une grande toile d’une bataille de nif-nif, chiens galeux toutes dents dehors (Starsky Brines, Galerie Heike Strelow), la galerie La peau de l’ours, un faon-botté de Max Coulon (Nosbaum Reding), et des dinosaures débiles de Stefan Rinck (Valerius Gallery), composent le bestiaire de la tente encore peu fréquentée.  

 

Starsky Brines, No estaras en mis suenos, 2023, courtesy Galerie Heike Strelow, ph. Galerie Heike Strelow

Stefan Rinck, Friendship, 2023, courtesy Valerius Gallery, ph. Adèle Anstett

Alex Reding, le fondateur de la foire, est un petit monsieur en costume à carreaux et à grandes foulées. Il est content de cette édition qui, selon lui, est de la bonne taille. Il ne pense pas à grossir davantage les rangs de la foire, il voudrait plutôt se concentrer à proposer une sélection soignée. 

En rejoignant le coin café, je tombe sur Raphaël, nous étions à la fac ensemble. On se croise souvent, et toujours par hasard. J’ai l’impression que ce mec est partout alors ça m’a fait plaisir qu’il me le dise aussi. Pour la galerie Françoise Livinec, il me montre de petites peintures de Loïc Le Groumellec (oui : breton) – dolmen, croix, maison, noir et gris, basta. Une austérité systématique d’un artiste qui refuse les vernissages. J’aime bien, ça me fait sourire et j’abandonne Raphaël à une journaliste en nous promettant un café bientôt. Le Groumellec est également exposé sur le stand voisin, le bougon a la côte.

Après une pause déjeuner où je partage une sorte de tropézienne avec les journalistes francophones et une brève discussion sur les petites foires avec Sophia Thowinsson et Rafael Pic (que je n’ai pas identifié tout de suite parce que je suis une petite quiche — d’ailleurs on aurait bien aimé qu’il y en ait au menu), nous sommes invité·es à une visite guidée en car (oui très chic) à travers la ville pour rencontrer les oeuvres de Van Lieshout, installées en extérieur à l’occasion du programme hors les murs.

Comme à Lausanne, il y a un pont des suicides, c’est un pont rouge très haut, avec des grilles très longues, pour éviter que les gens aillent se tartiner très fort sur les jardins et les toits très en contrebas. Il y a une école européenne en forme de E, la Philharmonie de 1500 places, des maisons colorées et de petits gratte-ciels aux vitres propres. C’est une ville tranquille, avec les restes d’une enceinte fortifiée que monsieur Ming Pei aurait failli déglinguer pour construire le MUDAM avant qu’on lui explique ce que c’était. Il y a aussi dans la partie basse de la ville, un château jamais fini du compte Mansfeldt qui a claqué tout son fric et dilapidé un héritage de superbes tableaux de maîtres flamands. Toujours dans le Grund, un cimetière avec un trampoline « pour que ceux qui tombent du pont rebondissent », je ne sais plus qui a dit ça dans le car. À la fin de la promenade, la guide nous raconte l’histoire de la sirène qui nage toujours dans l’Alzette (la rivière qui traverse la ville), mais du coup je m’imagine un silure anthropomorphe plutôt qu’Ariel.

 

“Bienvenue chez nous”

Arrivé·es au Casino, centre d’art contemporain, nous tombons sur le début de la répétition générale de l’artiste Betty Apple et son collectif taïwanais et j’ai du mal à me concentrer sur autre chose. Un individu de nouveau en costume à carreaux et sa collègue(1) nous racontent l’histoire du lieu, mais il y a un gros dragon qui scintille sur les murs d’écrans derrière les platines. Les test de VJing m’ont perdu, j’essaie d’écouter la conversation d’un DJ avec le technicien avant de reconnecter avec la présentation en cours : « le Casino a laissé un duo d’artistes faire de gros trous au travers des étages », iels sont sympas ces Luxembourgeois·es…

La visite de la première exposition me soule, une Américaine bandeuse d’Europe qui met de la lavande au sol. Sur les traces de Manet et d’O’Keeffe blablabla… Le « saousse of fransse » you know, so inspiring. Petite bourgeoise à Porto-Vecchio avec une approche holistique, oh pitié. Les vertus thérapeutique de la lavande, c’est le bingo. 

À l’étage une autre exposition, Jérôme Zonder, danse macabre en noir et blanc, un peu trop « les ados et leurs écrans quelle misère » mais la scénographie est originale. Je veux retourner voir la répétition et j’ai faim.

Nous rencontrons finalement Betty Apple qui accepte de nous présenter sa performance (MIRAGE ECSTASY) à venir. Avec l’aide de son collectif Social Dis Dance, elle incarnera une mermaid du futur, qui réunira les individus du public pour les connecter à la fête, entourée de coraux gonflables réfléchissants, métaphore d’un réseau nerveux entre IA et rhizome. Son discours est comme une bouffée de rêve, avant de repartir j’aperçois de nouvelles images sur les écrans : un bus à nageoires, Taïwan underwater et du fond des enceintes un message : « Where do you come from ? ».

 

Betty Apple & Social Dis Dance, 2023, Casino Luxembourg, ph. Adèle Anstett

Heure de pointe dans le tramway vers la gare avec toustes les frontalier·es qui rentrent du boulot, le groupe s’arrête pour grignoter et je choisis un gros sandwich avec un cappuccino avant de reprendre les rails.

Comme dirait Mylène, c’était une belle journée.

Merci à toutes les personnes évoquées le long du texte, pour votre temps et votre bienveillance. Merci aussi à celleux qui ne sont pas évoqué·es mais que j’ai eu le plaisir de rencontrer.

(1) Kevin Muhlen et Stilbé Schroeder, respectivement directeur général et commissaire d’exposition au Casino Luxembourg.

Adèle Anstett
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