LE MONOCHROME DE SABRINA BELOUAAR
Quelle audace que ce monochrome croisé dans les allées du Salon de Montrouge ! Il est l’œuvre de Sabrina Belouaar. Son seul médium fut le henné.
Ce colorant naturel obtenu à partir des feuilles séchées d’une plante éponyme est utilisé depuis l’Égypte antique. C’est ce henné qui apporte tout son aplomb au tableau. Car en faisant le choix du monochrome, Sabrina Belouaar s’empare d’un étalon du modernisme occidental et de surcroît, masculin. Composer avec cette poudre aujourd’hui utilisée pour sublimer le corps des femmes en Inde et au Maghreb, c’est conférer une toute nouvelle place aux femmes. Aussi, la radicalité du monochrome, vierge de représentation formelle, évite toute grandiloquence. Il fait table rase de manière froide et autoritaire sur une histoire que se sont accaparés les hommes et il offre fermement à celles qu’on a jusqu’alors laissées sur la touche, la possibilité d’avoir enfin voix au chapitre.
Contrairement à la tradition monochromatique, qui a vu certains peintres breveter la couleur qu’ils avaient créée – si ce n’est lui donner leur nom – Sabrina Belouaar utilise en toute humilité un médium populaire, qui passe de main en main et qu’on applique dans l’intimité du foyer. Aussi, le henné utilisé par les femmes comme parure protectrice notamment pendant la cérémonie du mariage est éphémère, il ne laisse sur les peaux aucun stigmate. À l’inverse même, le henné est une plante également utilisée pour ses vertus médicinales et cicatrisantes. La portée métaphorique de cette donnée est importante : elle offre à la toile de Sabrina Belouaar une dimension particulière, relative au soin, à la régénérescence.
C’est une étendue tantôt ocre, tantôt dorée ; une plaine vierge, qu’on pourrait croire être une prise de vue aérienne d’un territoire désertique assommé par le Soleil. Un paysage grave et silencieux qui s’affirmerait frontalement à nous, dénué de toute présence humaine, et jusqu’alors, jamais foulé par aucun homme. J’y ai projeté mon militantisme féministe et mon engagement écologiste. J’y vois la revanche des femmes et la peine qu’a cette Terre à rester fertile, cette Terre qu’on finira par faire crever. Comme le henné, le monochrome de Sabrina Belouaar panse les plaies. Son absolu a apaisé ma rage le temps d’un instant.
Visuels : Sabrina Belouaar, Henna, 2015. Henné sur toile, 200 x 151 cm, pièce unique.
Salon de Montrouge
Du 27 avril au 22 mai 2019
Le Beffroi - 2, place Émile Cresp
92 120 Montrouge