Hélène Hubert rencontre l’un visible à la Foire Saint-Sulpice
Après le Grand Marché d’Art Contemporain tenu place de la Bastille à la mi-avril, la capitale accueille du 24 mai au 2 juillet la Foire Saint-Sulpice, sur la place du même nom. Elle présentera tant des animations théâtrales que de la céramique ou de l’estampe, mais c’est le Salon de la photographie contemporaine qui ouvre le bal les 24 et 25 mai prochains. Rendez-vous incontournable des amateurs et des connaisseurs, le Salon réunit une centaine d’artistes français et étrangers, parmi lesquels la talentueuse et mystérieuse Hélène Hubert.
“Délaissant le grain d’argent pour tomber amoureuse du pixel, je me suis enfuie du monde publicitaire pour convoler avec les mystères de la vie dont les capteurs numériques détiennent la clef.” H.H.
Après une formation aux Etats-Unis au début des années 1980, Hélène Hubert débute sur le marché de la photographie publicitaire à l’argentique, passant au numérique au tournant du XXIème siècle en véritable pionnière. Puis, au début des années 2010, son travail prend une tournure radicalement artistique. Délaissant les contraintes de la reproduction du réel, la photographe-se forge son propre langage visuel, flirtant avec les volumes géométriques et les volutes de lumière. De sa carrière dans la pub, Hélène Hubert retient une attention toute particulière à l’objet, ses multiples facettes et sa polysémie formelle. C’est justement le sens caché, presque invisible à l’oeil nu, que la photographe capte et met au jour grâce aux outils numériques.
” Je sonde cette zone trouble entre l’objet, son reflet et ce qu’il peut représenter.” H.H.
Ainsi Hélène Hubert fouille ses images, pour en extraire silhouettes, ombres et allusions de présence. Munie d’une tablette et d’un stylet, elle “dépoussière” le fichier photographique pour en révéler l’infiniment petit, l’infiniment visible, “l’un visible”. L’artiste se voit ainsi guidée par la pensée du psychanalyste Jacques Lacan sur l’existence des trois registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. L’objet réel, à travers le prisme photographique, devient non seulement un support symbolique et signifiant, mais – et c’est là le talent de l’artiste – ouvre également sur l’imaginaire, un monde parallèle où la distorsion, l’onirisme et le double sens prévalent.
On distingue ainsi dans Pavé d’or une superposition de plans, s’entremêlant dans un nouvel espace où le réel côtoie des formes fugitives capturées par l’artiste. Ainsi, la rue entre en résonance avec l’intérieur de la galerie, par le biais de la surface vitrée, créant une nouvelle réalité d’un instant, immortalisée par les capteurs numériques. Le transparent devient visible, l’intangible se mue en matière palpable, un monde s’ouvre sous nos yeux.
Les différents reflets rappellent l’art des hyperréalistes, en particulier ceux des années 1970 comme Don Eddy, qui jouaient sur la multiplicité des objets de vitrine et la brillance des matériaux pour dépeindre un réel surchargé. Mais ici, Hélène Hubert ne cherche plus à rendre compte d’une société de consommation de masse, elle dégage un surcroît de réel où l’onirique prend une place prépondérante. Pavé d’or est une brèche dans laquelle on s’engouffre volontiers, l’oeil navigant à vue dans cette réalité augmentée. Hélène Hubert légende d’ailleurs sa photo “flagrant délit de différentes manifestations de l’Entre-deux”. Cet espace atteignable seulement par le regard est pour elle l’incarnation du monde tridimensionnel en tant que Tout, témoignant d’une interconnexion entre les êtres, animés ou inanimés, à la manière de l’appréhension bouddhiste d’un univers qui dépasse les seules bornes de la vision subjective.
“Mon devoir d’artiste est d’éclairer l’absence par une lumière tranquille, là où le réel révèle un secret qui, peut-être, n’apparaît pas à première vue.” H.H.
L’artiste s’attache particulièrement à suivre la lumière et ses empreintes. Celle-ci joue le rôle de révélateur, soulignant ici une brève apparition, créant là une géométrisation nouvelle de l’espace. Grâce aux outils numériques, Hélène Hubert donne une consistance aux divers rayons naturels ou artificiels, leur permettant de s’épanouir sur le plan pictural. On a d’ailleurs parfois l’impression que la lumière a acquis une vie et une volonté propre, qu’elle évolue dans les clichés de l’artiste comme sur un terrain de jeux.
Où est Elsa ? illustre ce souffle vital qu’Hélène Hubert donne à la lumière. On y voit en effet les faisceaux lumineux habiter l’espace, jouer avec les angles, dialoguer avec les ombres, et révéler à l’œil attentif les secrets des lieux ou des objets. Dans un coin sombre, la lumière a décidé d’élire domicile dans un graffiti en anglais. On peut y lire l’interrogation d’un être de passage, sur l’amour d’Elsa. Cette trace survit grâce au rayonnement qu’elle dégage – même pourrait-on dire à son aura – invitant le spectateur à imaginer la présence de ces êtres qui peuplèrent brièvement les lieux. Les objets immortalisés par l’outil photographique semblent aussi conserver un témoignage, un fragment de ces vies. Ainsi, la chaise, au centre de la composition, rayonne.
La légende qui accompagne le cliché amène le spectateur dans une autre temporalité, sans début ni fin, où toute trace est permanence, comme une échappatoire à notre course de vie effrénée. “L’école est finie et commence.” Elsa est partie. Elsa reviendra.
Le travail d’Hélène Hubert réside dans la quête de l’Entre-deux, cet espace-temps qui transcende le point de vue strictement humain pour s’incarner en toute chose, matérielle ou immatérielle, visible ou invisible. Elle traque les manifestations fugaces de la réalité intérieure des objets, s’attachant à la rendre perceptible, grâce notamment à la prouesse technique des capteurs numériques. Sa recherche vise “l’un visible”, l’Univers fragmenté en une myriade d’objets et d’êtres aussi différents les uns des autres, et pourtant tous reliés par une même matière : la vie.
Irène Cavallaro
Le Salon de la photographie contemporaine de la Foire Saint-Sulpice, Place Saint-Sulpice, Paris 6ème
STAND 411
24 mai de 15h à 22h
25 mai de 12h à 20h
Le site de l’artiste :
Photo de couverture : L’heure de la sieste, 2011, © Hélène Hubert
Un article très sensible. Merci Irène