Galerie W – Landau


Si l’art a toujours été une activité sociale et politique et si son histoire a toujours été mêlée à celle de la science, il semble qu’un changement se soit produit avec l’art contemporain qui pose en des termes nouveaux le rapport de la création artistique au social, au politique et à la connaissance. (…) L’art contemporain est en phase avec la société de consommation et tous ses dérivés. Technologie, biologie, écologie, éthique sont prises en compte par cet art ouvert à tous les vents.” Jean-Jacques Gleizal, L’art et le Politique, 1994, Paris, PUF.

 

   Quand Eric Landau crée la galerie W à la fin des années 1990, il entend insuffler une énergie nouvelle dans le monde de l’art contemporain, en se proposant d’offrir aux artistes d’aujourd’hui non seulement un espace d’exposition conséquent – près de 3500 mètres cube – mais aussi une plateforme de rencontres et d’échanges, de vie en somme. Car l’espace est non seulement un lieu d’exposition, mais il se prête aussi bien à des performances, des défilés, des dîners et des ateliers pour les plus jeunes. Au total, ce sont les œuvres d’une vingtaine d’artistes qui habitent le lieu de manière permanente, selon un accrochage régulièrement remanié. Ce qui semble réunir ces artistes contemporains – “vivants” dirait-on à la galerie W – c’est une même soif de parler du monde qui les entoure, nous entoure, et d’en faire résonner les beautés comme les travers. On peut y observer une pluralité de moyens d’expression, de la peinture à l’huile à l’assemblage de matériaux de récupération, en passant par le photomontage, le pochoir et le béton armé.

Une peinture libérée et expressive 

   A la fin des années 1990, Landau remarque Troy Henriksen alors que celui-ci peint sur les quais de Seine. Cet Américain d’origine norvégienne, au passé de marin-pêcheur, a troqué la canne à pêche pour le pinceau pour le plaisir des yeux avides de couleurs vives et de sens cachés. Car la peinture de Henriksen est bien souvent la représentation d’un monde à mi-chemin entre le cliché et la ville idéale, où se côtoient les effigies de personnalités qui ont appelé à un monde meilleur, comme Frida Kahlo ou le Mahatma Gandhi. Le trait pourrait paraître naïf, la touche simpliste, et pourtant le peintre nous happe dans des compositions fourmillantes de vie où d’énormes oiseaux veillent sur des immeubles multicolores, où des soucoupes volantes se partagent le ciel avec des fleurs de lotus. L’humour est une composante essentielle de l’œuvre d’Henriksen. Ainsi peut-on lire sur un papier collé sur la toile, ornant un immeuble à la manière d’une enseigne, “Agence tous risques“. Plus loin, toujours sur un bout de papier collé, “Faux-semblants” comme une véritable invitation du peintre à contempler autrement notre environnement. Il dévoile d’ailleurs que pour lui, “être artiste, c’est avoir la capacité de transformer les problèmes en beauté“.

   Toma-L manie aussi le pinceau et le tube à la galerie W. Amené à la peinture par la découverte de Jean Dubuffet, ses compositions, des figures anthropomorphiques enchevêtrées sur fond blanc, ne sont pas l’expression des canons de la beauté. Les têtes sont disproportionnées, les corps souvent absents, les membres tordus. La touche est grossière, et fait croire à de l’imprécision, mais en réalité Toma-L sait tout à fait où il va, car il crée avec ses tripes. Ses personnages semblent ainsi naître des mains de l’artiste qui, quand on le voit peindre, a le geste net. Par superpositions de coulures de différentes couleurs, ce peintre révèle ces petites créatures difformes ; si elles paraissent laides au premier abord, on est vite fasciné par leur force de vie. Libérées des carcans de la réalité par leur créateur, ces figures ne veulent pas imiter, elles sont. Et elles invitent à agrandir notre réalité.

Un art d’engagement

   “En 2008, mes toiles à la Galerie W, craie blanche sur fonds noirs, donnent à voir la tentaculaire toile d’araignée tissée par les liens de la Finance, – ce monde dans le Monde, qui invente des règles, en abuse, dupe, outrepasse, viole, parie, en flux continu. La crise financière éclate au moment même de ma première exposition.” Denis Robert est journaliste de formation. C’est lui qui a mis au jour, en 2001, les activités de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale de la chambre de compensation internationale Clearstream. Après 60 procès, et une interdiction de publication – levée depuis 2011 – Denis Robert a cherché à s’exprimer par tous les moyens, d’abord pour ne pas taire le scandale, mais aussi pour ne pas se sentir réduit au silence, celui qui fait tomber dans l’oubli et rend inhumain. Aussi il décide d’emprunter la voie de la création artistique. De la matière journalistique de son enquête, il fait des œuvres : “J’ai imprimé des pages de mes carnets de notes, des bouts de mes listings, des morceaux de mes pensées sur des toiles. J’ai franchi une barrière invisible. Je suis allé sur un territoire inexploré où je bataille avec des espaces, des lignes, des châssis, des cartons, des épaisseurs, des mots et des couleurs. De toute cette matière, je finis par créer un langage.” Une signalétique aux couleurs vives et aux dessins schématiques qui prône un message clair : “Shoot the bank“.

   On peut aussi évoquer le travail de Pierre Auville, pour qui l’engagement, après avoir intégré la Marine Nationale, s’apparente à l’anoblissement du béton dans l’art, ou plutôt à sa consécration en tant que matériau pictural. Ancien diplômé de Sciences Po, Pierre Auville avait d’abord commencé son apprentissage de l’art dans la rue, maniant le spray et la bombe. Mais ce n’est que bien des années plus tard qu’il recommence à créer, et cette fois-ci, plutôt que d’aller dans l’espace urbain, il le fait entrer dans l’atelier sous sa forme la plus connue : le béton armé. L’artiste commence par mouler un portrait qu’il colorise, puis fait couler ladite matière grise. Enfin, par de petites explosions, il révèle au regard ce support que la peinture avait masqué. Et prouve que l’on peut faire de l’art de n’importe quelle manière qui soit, pourvu qu’on s’y engage.

L’ode à la Nature

   Si la galerie W apprécie particulièrement l’art urbain ou du moins qui découle de la ville, elle expose quelques artistes qui exaltent une nature à la beauté sauvage, qui dépasse l’échelle de l’être humain. On peut ainsi se perdre dans les toiles de Jean-Marc Dallanegra, qui scrute les immensités terrestres ou célestes, et dont la touche impressionniste sublime toutes les nuances d’un naturel toujours changeant. Là-haut par exemple, qui date de 2015, offre un rayon de soleil s’échappant de nuages bleutés. La multitude de reliefs pigmentés laissée là par Dallanegra n’a pas figé cet instant de beauté merveilleuse, mais l’a bel et bien capturé, et l’on peut contempler à loisir les rayons lumineux jouant avec les ombres nuageuses sans jamais se lasser du spectacle.

   Si l’on déambule un peu plus loin dans la galerie, on peut admirer un autre spectacle, plus singulier. Une photographie montre un lion trônant, allongé, sur le toit de l’Arc de Triomphe. Encore plus étonnant, toutes les rues alentour sont enfouies sous une luxuriante forêt et l’on ne distingue plus que le haut des immeubles. L’Arc de Triomphe lui-même est recouvert de lianes, et il affiche de nombreux et colorés graffitis. Avec Paris King of Jungle VIP Arc de Triomphe Chris Morin-Eitner nous offre la vue d’un Paris où la Nature aurait repris ses droits. Il réitère avec d’autres photomontages de Paris, et des mégapoles du monde entier dans sa série “Il était une fois… demain” dans lesquels une faune et une flore des plus sauvages peuplent ces villes. Et l’on a beau chercher, pas de trace d’être humain à l’horizon. Ce photographe a imaginé, contemplant les ruines khmers d’Angkor, à quoi pourrait ressembler notre monde si notre civilisation venait à disparaître. Si à première vue les photographies font sourire, on ne peut s’empêcher d’y voir les conséquences d’un changement climatique déjà en marche.

     L’on s’aperçoit que la Galerie W s’acquitte plutôt bien d’accueillir “cet art ouvert à tous les vents“, et l’invitation est attrayante.

Irène Cavallaro

 

Photo de couverture : Denis Robert, courtesy de la Galerie W

 La Galerie W – Landau

44 rue Lepic, 75018 Paris

http://galeriew.com

Irène Cavallaro
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