CHRISTOPH VON WEYHE – GALERIE ERIC DUPONT
« L’électricité a fait du rivage le rival de la voûte céleste. »
Maël Renouard1
Si Christoph von Weyhe n’a cessé de peindre depuis son diplôme des Beaux-Arts en 1961, son oeuvre n’est que depuis peu accessible au public. C’est d’ailleurs sa première exposition personnelle en France depuis bientôt dix ans que nous propose la galerie Eric Dupont, en collaboration avec la galerie Azzedine Alaïa (qui présente les gouaches de l’artiste).
Situées au confluent de l’abstraction et de la figuration, les oeuvres de Christoph von Weyhe ont toutes un seul et même objet : le port de Hambourg, du crépuscule aux premières lueurs du jour. Il n’est pas commun de voir un peintre revenir inlassablement au même endroit, peindre le même lieu. Cette fascination remonte à la jeunesse de l’artiste. Régulièrement, il ralliait Hambourg, d’où il venait, et Paris, où il étudiait : « Quand on quittait la gare principale, je regardais par la fenêtre, je voyais pour une dernière fois le port, dans la nuit. C’était d’une grande beauté : la nuit estompe l’architecture, et il ne reste que le mystère. » Cette fascination pour le port d’Hambourg a conduit le peintre a y consacrer son oeuvre, mu par un seul besoin : celui de rendre sa beauté.
« Le port de Hambourg incarne une quête de l’absolu. […] Je n’y sens jamais de mélancolie, seulement un éblouissement de beauté. Je veux fixer ce moment : c’est pour cette raison que j’y retourne constamment pour arriver à capter un jour quelque chose d’exceptionnel. Je veux transmettre la beauté de ce lieu et de ce moment au-delà de la géographie et de l’histoire. Le port est un théâtre : et ce qui s’y joue un opéra. […] L’opéra est un théâtre transformé par la musique, qui joue un grand rôle dans ma vie : les personnages n’y comptent pas tant que la mélodie. Je veux saisir cette mélodie de la lumière ».
Le processus de création des toiles voit peu à peu s’éloigner le motif d’origine. Tout commence par la confrontation avec l’espace : le peintre se rend sur le port et marche jusqu’à trouver le lieu, la lumière. Là, il pose une bâche, installe sa feuille ou son carton, et peint très rapidement ce qu’il voit. A ce moment, il n’essaye aucunement de faire un tableau, il relève ce qu’il voit, sans accorder d’importance à la précision. Il se place d’ailleurs à mi-distance du motif, ni trop près (il devrait peindre les détails), ni trop loin (l’image deviendrait trop complexe). Cela donne un espace scandé par des lignes : c’est une structure picturale qui nous est présentée, aux limites de la figuration. Cette étape, réalisée en une heure environ, peut être vue comme un simple relevé des formes, mais revêt pour le peintre un caractère bien plus essentiel : « quand je fais une gouache, je suis dans une urgence qui provoque ma joie à faire cette peinture ; et peut-être cela se ressent-il. Dans les gouaches – et c’est pour cette raison que je les aime tant – il reste quelque chose de cette excitation. »
La toile, Christoph von Weyhe peut la peindre des années après avoir réalisé l’esquisse. Il en reporte les formes, puis recouvre la surface picturale d’un voile légèrement grisé, à l’aide d’un pinceau extrêmement fin et au cours d’un processus long et minutieux, dans une démarche que l’on pourrait apparenter à du tissage. Ce voile tissé sur le motif fait tomber sur le paysage une brume légère, et laisse en réserve les sources de lumière. Car s’ils sont nocturnes, les paysages de Christoph von Weyhe n’en restent pas moins rythmés par la lumière. Ponctuant l’image, elle révèle le paysage, met les formes en évidence, et participe activement de l’équilibre pictural.
Entre les toiles et les gouaches, issues de démarches très différentes, se noue un dialogue que Donatien Grau explique en faisant un parallélisme avec Turner, l’une des références de l’artiste :
« les gouaches seraient pour Christoph von Weyhe ce qu’étaient les aquarelles pour Turner ; à la fois des notes, comme dans un carnet, des oeuvres de sensation, d’immédiateté, par opposition aux toiles réclamant un travail du temps prolongé. Aussi, il y aurait entre les deux comme un dialogue effectif, et simultanément une autonomie certaine : les aquarelles et les gouaches ressortiraient à une réaction immédiate au monde tel qu’il s’offre à l’artiste, tandis que les toiles en représenteraient une élaboration, une altération double, un figement et une fiction. »
A la galerie Eric Dupont l’exposition se vit en silence. Envoutantes, les oeuvres de Christoph von Weyhe ne permettent pas que l’on détourne le regard. Nous sommes prisonniers de ces paysages endormis, et pourtant bien vivants.
Image à la Une : CHRISTOPH VON WEYHE, Hamburger Hafen am abend des 26.06.2009, 220 x 100 cm, acrylique sur toile, 2014. Courtesy galerie Eric Dupont.
CHRISTOPH VON WEYHE
"PEINTURES"
GALERIE ERIC DUPONT
DU 21 MAI AU 21 JUILLET 2016
138, RUE DU TEMPLE
75 003 PARIS
http://www.eric-dupont.com