Gabriel Moraes Aquino, la terre pour maison
On reconnaît tout de suite la forme de la maison. Elle est omniprésente dans le travail de Gabriel Moraes Aquino, un assemblage de carrés et de triangles pour les murs et le toit. C’est une forme simple et presque universelle que l’on trace pour démarquer un espace à soi, un abri contre le vent et la pluie. En plan ou en volume, l’artiste associe au travers de sa série Lares Temporários (Temporary Homes) ce repère familier à la terre dans un geste primordial. L’habileté à se construire un refuge avec les éléments à disposition est à l’origine de toutes les civilisations. À Londres en 2018, il délimite dans un parc une forme de maison qu’il laisse quelques jours à la merci des éléments, vent et pluie, passage d’animaux, chutes de feuilles, avant de la ramener dans l’espace d’une galerie. À même la terre, se lit le passage du temps à des échelles plus ou moins longues, les marques des quelques derniers jours, le complexe processus géologique et biologique qui a mené à la formation de l’humus. L’artiste suspend par l’exposition un moment du cycle naturel, fixé par de la colle sur une toile, les réactions de la terre à l’humidité et à la sécheresse agissent comme un baromètre et pointent la fragilité même de nos habitats susceptibles de s’effriter et de s’effondrer.
Les différentes textures de terre fonctionnent à la manière d’un recueil au travers duquel on peut lire le climat et les saisons mais aussi les actions de l’Homme. Gabriel Moraes Aquino les collectionne et les enserre dans des cadres de bois, il cherche particulièrement à voir l’empreinte de l’Homme sur son environnement, la trace d’un pas ou celle d’un objet oublié. Ces tableaux, intitulés Para Elevar (To Grow) ne sont pas exempts de qualités esthétiques et rappellent les Texturologies et Empreintes de Jean Dubuffet, mais s’apparentent à une manière plus littérale de saisir le réel et de le déplacer. Après la fin de l’exposition londonienne, l’artiste a remis en terre son installation Morada I (Home Mark I), presque comme si de rien n’était. Une série de photographies documente le processus où maison sur le dos, il retourne à cet endroit du parc où il avait trouvé la terre nécessaire à son refuge. Elle accentue la nature transitoire de sa démarche qui joue des matériaux pauvres, comme de la réutilisation des pièces et du recyclage.
Gabriel Moraes Aquino crée la plupart du temps in situ et avant d’arriver aux Beaux-Arts de Paris, il n’avait pas d’atelier. Après des études de communication au Brésil, il a conçu ses premiers projets à Rio avec le collectif Gregário autour d’espaces spécifiques. Sur les hauteurs de la ville, ils ont ainsi occupé un ancien hôtel et mené différentes expériences influencées par le land art. Composant avec l’état de ruine du bâtiment, ils ont créé un parcours singulier Convite aos Errantes (Invitation to Wanderers) où le visiteur était tour à tour mis à distance et intégré dans les pièces. Les œuvres, elles-même réarrangement d’objets trouvés sur place, jouaient de l’idée d’ordre et de désordre. Ces recherches ont été importantes pour l’artiste puisqu’elles lui ont permis de développer une conscience de l’environnement, architectural ou naturel, mais aussi et finalement politique. Gabriel Moraes Aquino s’est ainsi intéressé de très près à l’urbanisme brésilien et à ses dérives, expropriation, corruption ou encore constructions spéculatives.
“Welcome“, résume l’invitation du Brésil au tourisme de masse lors de la Coupe du monde de football en 2014 puis des Jeux olympiques de Rio en 2016. C’est aussi un mot que Gabriel Moraes Aquino a retrouvé sur le paillasson d’une maison qui allait être rasée pour construire un immeuble moderne. L’installation Oriundo da Vinda (Arising by the Arrival) est composée de tous les objets qui pouvaient être contenus dans une valise que l’artiste a trouvée sur le terrain. Des vestiges qui ne pouvaient être transportés, des rebuts de peu d’importance qui montrent une réalité peu reluisante de l’immobilier et des déplacements forcés. Lors d’une première performance Desvio Consolidado (Consolidated Deviation), Gabriel Moraes Aquino s’enfermait lui-même dans une construction en parpaings, métaphore de la logique spéculative de l’industrie du bâtiment et de ses risques pour l’économie. Il a ainsi poursuivi son travail sur l’habitat et le déplacement jusqu’en Europe où ses œuvres se sont faites plus symboliques mais non moins engagées d’un point de vue écologique ou même anthropologique.
La maison est ainsi revenue comme un symbole, une idée que l’on peut examiner de front, en tournant autour ou en passant la tête à l’intérieur. Mais c’est un espace d’autant plus problématique que l’on ne peut y accéder véritablement ou l’habiter si l’on regarde le dispositif de Refúgio de Terra (Soil Shelter). L’image sans cesse répétée des Lares Temporários (Temporary Homes) consacre le chez soi comme un espace sacré et allégorique. L’artiste transporte finalement avec lui un modèle, qu’il décline au gré de ses déplacements et de la terre qu’il trouve sur le chemin. Carrego Terras (I Carry Land), titre d’une de ses performances, devient ainsi un programme artistique. Gabriel Moraes Aquino traverse un paysage et est traversé par lui dans une épreuve physique où il tire une pierre à l’aide de cordes en dispersant un monticule de sable sur son passage. Cette action lui permet de s’approprier un déplacement, de le marquer dans sa chair. Le projet de l’artiste examine nos conditions d’être au monde, comment nous domestiquons nos environnements, quelles solutions nous avons adoptées pour nous construire. Il utilise pour cela des formes qui nous entourent et il reproduit en argile avec Viga (The Beam) la charpente de son atelier ou encore des drapeaux Bandeira (Flag) et des couvertures Cobertor (Blanket). Il se sert du potentiel de transformation de l’argile pour redéfinir les contours de nos espaces de vie. Chacune de ses œuvres est amenée à être reconfigurée dans des Resto (Leftovers), une manière de souligner le caractère éphémère de nos créations et d’encourager de potentielles transformations. La terre pour maison, mais surtout comme lieu de vie et de mutations.
Article initialement publié en portugais dans la revue brésilienne Babel, n°12, décembre 2018-février 2019, Buzios, Brésil.
Je trouve votre article très intéressant .Il m’a permis de découvrir ce nouvel artiste et sa démarche qui me parle.