Aria Maillot : La dose fait le poison


 

Vue d’exposition. Ensemble à bora, Mère de vinaigre 2. 2023 J+3. Lieu-commun, Toulouse

 

La plupart du temps, Aria Maillot travaille avec des matériaux périssables : du vin, du vinaigre ou du levain. Elle les fait entrer en contact et se laisse surprendre quant à la forme que ces derniers prendront. Dans l’une de ses installations, on distingue une étendue de vin rouge au centre de laquelle gît une mère de vinaigre. D’abord apathique, cette dernière s’étend. Sa présence gonfle inexorablement jusqu’à rendre aigre l’ensemble de la mare. Les jours passants, celle-ci s’assèche, se putréfie. La surface grisante devient grisâtre. La matrice se fait menace. Il y avait pourtant quelque chose de séduisant dans le fait de voir cette matière vivre, ces bactéries agir et le biofilm s’étendre. Mais si elle était présumée nourricière, cette membrane s’est finalement révélée toxique. Elle a fait fi de toute entrave, de toute limite. Elle est l’allégorie d’une mère chancelante, d’un parent qui aurait dû mais qui n’a pu ou pas voulu.

Mère de vinaigre 1 (detail). 2023 J+45. Crédit photo: Franck Alix

 

Il y a bien sûr quelque chose de cathartique dans la démarche d’Aria Maillot. Dans ses peintures sympathiques, l’artiste couche sur la toile le souvenir d’un événement intime. Influencée par la peinture préraphaélite, elle use de symboles pour représenter les moments dont elle souhaite débarrasser son esprit. Mais rares sont celleux qui réussiront à deviner ses histoires. Même peinte, la toile semble vierge car c’est avec une gouache blanche qu’Aria Maillot travaille au préalable. C’est seulement dans un second temps que l’artiste décide de nous donner à voir son histoire. Pour cela, il lui faut verser du vin rouge sur la surface. L’alcool alors désinhibe et révèle les contours de ses souvenirs.

Aquarium. 170 x 200 cm. Mai 2022

Une fois visible, le dessin lui-même s’avère souvent ambigu. Aria Maillot parle d’une « zone de conflit » où les matériaux s’oxydent, se craquèlent et se font péniblement comprendre. Face à une toile comme Ensemble à bora, certain·es devinent une rencontre orgiaque quand d’autres pensent distinguer un charnier. Mais l’artiste nous laisse souvent seul·es maitre·sses de l’interprétation. Elle-même est d’ailleurs projetée face à cette réalité d’antan qu’il faut tenter d’oublier ou de comprendre. À ce propos, la temporalité du processus de révélation est elle aussi intéressante. Aria Maillot n’a que six mois pour faire apparaître ses formes. Après cela, la chimie ne fait plus effet, la peinture reste silencieuse, emportant avec elle les souvenirs de l’artiste. 

Copains comme cochons. 200 x 140 cm. Avril 2023 | D Juin 2023 | J+1 ph. Franck Alix

 

Je vois en ce geste révélateur une mise à nu, une manière de s’imposer un face à face avec son histoire et de se contraindre à engager un travail introspectif. Dans L’influence de Venus, on devine les contours d’une femme sans doute endormie, peut-être déjà tout à fait évanouie. Elle pourrait être une de ces Vénus écorchées dont le corps était dédié à l’exploration anatomique. Elle est sans doute un alter ego, une figure à laquelle la jeune fille qu’était Aria Maillot aspirait ; se laissant ainsi modelée par le regard des hommes. Cette femme que l’artiste a fait sortir d’elle est la force qui l’habitait. Un double qu’elle voulait rencontrer et comprendre. Ici étendue face à nous, elle nous contraint au voyeurisme : à la regarder changer, à voir sa chair gangréner. Elle est le symbole d’une cruauté qu’Aria Maillot a fait subir à son propre corps.

 

L’influence de Venus. 180 x 120 cm. Février 2023 | D Mars 2023 | J+120. ph. Franck Alix

 

Il y a quelque chose qui m’émeut dans le fait de voir Aria Maillot se dire et se découvrir à travers ses œuvres. Elle semble déceler les pouvoirs qu’impliquent le fait d’être artiste. Tantôt fascinée par l’alchimie entre deux matières, tantôt intimidée à l’idée d’être la seule responsable des formes qui jailliront de ses œuvres. En travaillant avec toutes ces matières vivantes, c’est comme si elle s’était trouvée des compagnes d’atelier, des forces extérieures à qui elle pourrait confier ses vertiges et ses désirs. 

Camille Bardin
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