TOUT EST VRAI Romain Kronenberg


Un matin de printemps, sur la dalle en bas de leur tour où ils s’étaient donné rendez-vous, quatre jeunes personnes, la vingtaine, sont victimes d’une attaque : Pablo Adam est tué sous les yeux de son amie Zoé Jaspers, de Thomas Jaspers, son frère et de Felix Jeanneret, un voyageur de passage. Les trois survivants tentent de surmonter la disparition de leur ami à travers leurs pratiques artistiques respectives : la sculpture abritant la mémoire et les images du défunt, la photographie qui dévoile une échappée, et le roman comme hypothèse d’une autre issue à l’attaque sont rassemblés autour d’un film qui raconte leur histoire.

Le regard fuyant vers l’histoire que tu n’as pas vécue, vers ce que tu espérais ressentir au plus profond de toi-même. Tu l’écartes, l’emmènes vers la marge d’un espoir que tu sais vain, mais auquel tu te rattaches. Cet à-côté si rassurant, celui d’une épaule sur laquelle tu te reposais, celle sur laquelle tu te reposes encore. Tu es là, Zoé, et tu t’envoles à la fois. Comme ces feuilles que tu as écrites. Celles qui te reprennent dans l’ailleurs qu’elles t’ouvrent et qu’elles te laissent espérer.

Poser, les mots. Les écrire, ces possibles voix du dire. Ceux qui sont ta seule attache, au travers desquels tu peux voir et tu peux entrevoir. Ce fameux point de vue, hein Zoé, celui d’en haut – l’espérance d’une venue –, celui d’en bas – l’échappée vers l’ailleurs –, celui devant toi – cet à-côté. Devant toi, hors de toi : ton être. Que tu lanceras au dehors. Enfin libérée de ce repos, tu vas te reposer. Enfin, à côté de lui, Pablo. Tu habiteras ce dehors auquel tu t’exposes, celui de ton existence à jamais vouée à celle que tu as écrite.

Dans le creux, cette surface que tu entr’aperçois de et au loin. Ce vide à combler et cette surface à garder, à préserver. Sur cette ligne de vie que tu pensais avoir dessinée dans le creux de vos mains superposées. Tous les deux sur le même côté, du même côté. Là où tu apposais tes membres : ta tête, devenue sourde ; ton regard, dorénavant aveugle ; ton souffle, entrecoupé. Tu relâches maintenant ton bras, laisses glisser ton espérance vers le bout de tes doigts pour capter ce temps qui s’est figé. Reprendre, étendre ce temps-là que tu as parcouru à l’arrêt, de côté et sur le côté. Dans le déroulé d’un quotidien que tu as laissé défiler sous tes yeux, agrippée à ce qui te restait. Ces souvenirs, cette mémoire sur le bord d’une échappée, celle de l’égard qui t’a tant marquée.  Sa distance ; Pablo.

Lui, apparaissant, à l’orée d’une lueur qui te faisait attendre. L’attente de sa venue  je te vois –, de son corps – vibration –, de son amour – je pense à toi. Lui, disparu, tout comme toi. Tu effleures cette surface qu’on t’a enlevée, tu la poursuis en caressant par ces pages la sensation de cette attache. Dans ce blanc, comblé du noir de tes mots, ceux que tu as figés dans le temps – pourtant tu n’y arrivais pas, tu n’y arrivais pas. Quoi faire ? Laisser aller ton geste, exprimer la parole que tu engouffres en toi. Déraciner ton être du sol sur lequel il gît, dans lequel il gît, souche d’une réceptivité à toi-même que tu laisses maintenant déferler.

Crever le silence qui t’entoure, celui du poids des mots qui t’environnent, ceux que tu as laissés t’envahir par nécessité. Dans l’urgence d’une expression. Celle par fragments que tu as voulue séquencer pour mieux l’exprimer. Ce refuge, cette prison – tu ne sais pas, tu le savais. Ta vie est celle de tes morts, Zoé. Ce livre, c’est ta mort Zoé. Celle que tu as substituée, la vie que tu n’as pas pu vivre, celle que tu as imaginée. Tout est vrai Zoé. Son absence, la tienne. Votre absence, votre vie. Inachevable insuffisance.
Inachevée.

Pablo au sol, de côté.

Diane Der Markarian

 

NKR_3258_BD - Photo © Grégory Copitet
Vue d’exposition TOUT EST VRAI, © Grégory Copitet.

Image à la Une : Romain Kronenberg, Pablo Adam (interprété par Pablo Cobo), juin 2017. 

Diane Der Markarian
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