L’invitation à dîner de Côme Di Meglio
L’invitation à dîner ressemble à n’importe quelle autre invitation. L’artiste a donné l’heure et la date à ses convives mais n’a rien précisé pour le menu. Le rendez-vous proposé par Côme Di Meglio redéfinit les codes du repas en bousculant nos habitudes gustatives et sociales.
Nous arrivons autour de la table en regardant partout autour de nous. Ce repas du lundi 29 avril a lieu sous la verrière d’un appartement parisien et la vue transporte déjà les convives. Chaque série de dîners se déroule dans un environnement spécifique, un lieu différent. Ici, l’artiste a vidé un logement avant de le transformer en nid à l’aide de mousses, de brindilles et d’autres éléments naturels. En introduction, il explique qu’il conçoit le dîner comme un tout, un environnement et une somme d’interactions sociales. Au travers du repas, dont il n’est pas le premier à se servir artistiquement, il trouve le moyen de prolonger une quête artistique et spirituelle. Dans une optique différente des pionniers du eat art, moins festive et surtout plus méditative, il propose une forme de renouvellement.
Que faisons nous quand nous dînons ? Bien au delà de la nourriture, nous entrons en communication avec d’autres, nous entretenons des liens de convivialité. L’expérience que nous propose Côme Di Meglio revient sur le geste même du dîner, sa définition et nous amène à poser un regard plus aigu sur notre ordinaire. Une des invitées fait remarquer que dans les restaurants ou café, c’est souvent le bavardage qui l’emporte sur le reste. Ici, les invités ne se connaissent pas tous. Nous échangeons nos noms mais n’embrayons pas immédiatement sur le « Que fais-tu ? » et autres questions d’usage. Ce dîner permet de faire connaissance autrement, et redonne une valeur au silence. Les téléphones sont en mode avion et sans autre unité de mesure nous ne voyons pas non plus le temps passer. Entre deux plats, l’artiste distribue la parole et cherche à éveiller notre attention à l’autre, ses gestes, son visage, sa manière de s’exprimer. Peut-être y-a-t-il quelque chose de naïf à chercher à regarder l’autre sans a priori, à se prêter au jeu. Mais les enjeux que soulèvent ces dîners sont cruciaux : comment faire société, quelle attention donner à l’autre et comment lui donner ? Faire confiance à des inconnus relève d’une gageure et pousse surtout à se remettre en question : que dire aussi de soi ?
L’expérience que l’on retient de ce dîner est avant tout personnelle et le récit que j’en fais est subjectif. Nous ne repartons pas tous avec les mêmes impressions du repas. Les plats et leurs présentations jouent des saveurs et d’associations insolites, aussi bien de textures que de goûts. On croit reconnaître l’acidité d’un agrume mais on reste sur le croustillant de la noix. On hésite à reconnaître une épice particulièrement subtile mais on apprécie la légèreté d’une mousse. Il suffit de demander l’un à l’autre ce qu’il retenu de saveurs pour se rendre compte que nos perceptions varient radicalement. Les ingrédients sont de saison, pris au marché mais leur mise en valeur étonne. Tout se joue de ce que nous croyons reconnaître et de ce que nous percevons, de la simplicité d’une pomme à la sophistication d’un dressage de plat. Tout concours en réalité à nous sortir du quotidien et à établir de nouvelles connexions avec les autres mais également avec soi-même grâce à la pratique de la méditation, d’une hypnose éveillé.
On ne prend pas de photo durant le dîner ; qu’importe la tentation. Côme Di Meglio s’interroge sur la manière dont ses dîners doivent être documentés mais ne souhaite pas que l’expérience soit amoindrie par les réseaux sociaux et la tentation d’un partage immédiat. Le bouche à oreille lui permet d’avoir de nouveaux invités à chaque dîner mais la plus grande difficulté et de garder l’expérience toujours neuve et sensible. L’artiste souhaiterait que ses futurs invités arrivent sans a priori, sans influences de l’extérieur. Il n’y a pas qu’une façon de vivre l’évènement et il faudrait que chacun puisse pleinement être dans le présent du dîner. Cette préoccupation de la trace rejoint celle d’autres artistes conceptuels ou performeurs qui font de la relation à l’autre le sujet de leur travail. On pense à Tino Seghal qui rejette l’écriture de ses œuvres et de leurs principe ou les captations de son travail pour préserver la surprise d’une relation entre des individus L’art peut-être un potentiel de rencontre, un espace-temps privilégié. Nous suivons la voix posée de l’artiste qui nous invite dans l’ici et maintenant à explorer un monde intérieur.
L’observation du décor qui nous entoure nous permet de nous ancrer dans ce dîner. Toutes nos facultés de concentration sont sollicitées alors que nous sommes invités à fermer les yeux ou à saisir le silence. Comme dans une cérémonie japonaise du thé, le moindre objet a sa place autour de la table et est signifiant. La poésie du geste jusque dans les ustensiles. Dans un rapport d’analogie, les odeurs et les goûts nous ramènent vers un passé que nous sommes libre de revisiter. En se projetant ainsi dans nos souvenirs et nos inconscients, une intimité tout à fait singulière se créée entre les invités. Dans ce cadre harmonieux, les lumières deviennent des sons, les sons des couleurs et la synesthésie est encouragée par cet environnement total, où d’une pomme nous pouvons revenir à l’arbre et au cycle même de la vie. Il serait difficile d’en dire plus sans trahir l’expérience mais Côme Di Meglio propose le dîner comme une forme de communion globale. Sans réinventer la roue, il réinvente l’assiette comme un rituel.
https://comedimeglio.com/
Pour participer au repas de Côme Di Meglio, il est possible d'écrire à come@transitionfood.space.
Image à la Une : Côme Di Meglio, Fleur de vie, cristal. Photo de l'artiste.