LES MARGINAUX DE VINCENT GICQUEL
L’exposition Debout ! fut un cri qui s’est échappé tout l’été du Couvent des Jacobins de Rennes. Parfois plaintif, tantôt furieux, par instants même injonctif, ce cri n’est pas resté pour moi un de ces éclats qui frappent le tympan sans jamais pénétrer la mémoire. Peut-être en aurait-il été autrement si Caroline Bourgeois n’avait pas ainsi tenu ce porte-voix qu’est le commissariat. Car par sa scénographie, l’exposition rassemble déjà les prémices de réponses que l’on attend souvent devant les œuvres. Ce texte a dessein d’en apporter davantage sur le seul travail de Vincent Gicquel.
Comme un animal qu’on mettrait en quarantaine au moment de son arrivée dans un nouveau foyer, le travail de Vincent Gicquel était exposé seul. Mais ici, l’objectif n’était pas de laisser au dernier arrivé dans l’écurie de François Pinault le temps de prendre ses marques. Ni même de permettre aux visiteurs d’appréhender un artiste qu’ils rencontraient pour la plupart pour la première fois. J’aime à croire que les raisons de cette mise à l’écart sont bien plus substantielles.
Car les créatures que peint Vincent Gicquel nécessitent cet espace, cette mise à l’écart. Regardez les… Leurs grands yeux ébahis fixent l’absurdité de ce monde et leurs sentiments vacillent de toile en toile. Est-ce la terreur ou l’ire qui les habitent à la vue de la petite Vietnamienne d’Adel Abdessemed qui fuit le monstre de napalm, ou du petit Hitler puni dans un coin ? L’honnêteté de leur réaction face à ces monstruosités compte sans doute bien plus. C’est en cela qu’il était nécessaire de les mettre en marge de cette exposition. Parce qu’il y a des clameurs qu’une société doit taire pour son bon fonctionnement, elle mettra toujours à son ban l’homme qui ne ment jamais. Et ne jamais mentir, c’est ce que font les toiles de Vincent Gicquel. Face aux tourments du monde, aux atrocités humaines et à la violence que concentre les œuvres de l’exposition, elles sont comme l’enfant qui par manque d’empathie ne saura juger de ce qu’il est bon de dire ou de faire. Pervers polymorphes, les personnages de Vincent Gicquel agissent, et puis c’est tout. Peut-être est-ce en cela qu’ils nous sont autant insupportables.
Personnages du futur ou fantômes d’une existence éprouvée, ils sont simplement là dans leur cellule de papier. Dès lors, c’est l’essence même de ce qui constitue notre caractère qui les épanouira. Ces bonhommes, lovés dans leur cocons translucides ne sont donc pas dénués d’humanité, au contraire, ils disposent entièrement de ce qui la constitue. Et quoi de plus constitutif de celle-ci que le plaisir de jouir ? Jouir d’une réflexion stimulante, d’une étreinte orgasmique, d’un breuvage salvateur… En soi, la peinture de Vincent Gicquel n’est pas érotique. Si vous la considérez comme telle, l’artiste vous rappellera d’ailleurs bien assez rapidement que ne sont présents aucun orifice à combler. Certes, ses tableaux sont rythmés de symboles phalliques ; mais en eux c’est l’impudeur naïve d’un enfant qui joue avec son sexe qui est représentée, plus encore, c’est la création à l’état pur, l’ultime instinct de vie.
Finalement, la peinture figurative de Vincent Gicquel est perverse seulement dans ce qu’elle provoque au regardeur. Si elle ne nous offre pas énormément d’échappatoires descriptives elle laisse néanmoins naître en nous une incontrôlable envie d’extrapoler. Sans doute à cause de la beauté de ses couleurs pastel, elles sont celles d’une chambre d’enfant dans laquelle on se sent en sécurité. Quel choc donc, d’y découvrir ces créatures s’adonner à d’étranges activités. L’approche est purement freudienne ; Vincent Gicquel nous montre que tous les plaisirs de ce monde sont à portée de main, mais terriblement refoulés. Et c’est en cela qu’être face à ces personnages conscients de leurs envies nous révulse ainsi.
L’erreur serait maintenant de croire que toute l’Œuvre de Vincent Gicquel se niche dans ces postures et ces regards. Car s’ils semblent accaparer toute notre attention, de ludiques motifs viendront inévitablement perturber notre appréhension des toiles. Simples ornements ou ridicules boutades, ces étoiles pèchent comme une fausse note venue s’immiscer dans un parcours mélodieux. Loin d’être de simples détails, elles ajoutent satire et complexité au propos de l’artiste. Effectivement, quoi de plus symbolique que l’étoile pour souligner la complexité de l’humanité ? Ces quelques branches ont été simultanément portées fièrement sur la poitrine du shérif américain tout en oppressant le peuple juif sous le Troisième Reich, elles sont ici l’emblème de l’échec du manichéisme. À l’inverse, elles sont ici comme l’astérisque qui à la fin d’une phrase vient compléter le propos de l’auteur, elles sont l’orbite porteuse d’une lueur d’espoir, la certitude que l’Homme se relèvera toujours. Car comme Sisyphe qui fit le choix de ne jamais désespérer en voyant sa pierre retomber inlassablement de l’autre côté de la montagne, l’humain face à l’absurdité de ce monde sera contraint de faire son propre choix fondamental. Un choix que Vincent Gicquel pause violemment face à nous : le suicide ou la vie.
Remerciements : Roxane Rabieaux.
Très beau texte!
Encore et toujours des personnages….
Vraiment, je suis attendrie de vous lire chaque fois. Vous(Jeunes critiques d’art) êtes très inspirés. Ma prière à Dieu: pouvoir écrire comme vous, un jour.
Bonne rentrée artistique à tous…
Très intéressant et compréhensible.Votre travail m’a interpellée.