Cy Twombly – Centre Pompidou


« De même que le rôle du poète depuis la célèbre lettre du voyant consiste à écrire sous la dictée de ce qui se pense, ce qui s’articule en lui, le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui »

Max Ersnt [1]

Jusqu’au 24 avril, le Centre Pompidou peut se targuer d’offrir à ses visiteurs une rétrospective quasi intégrale de l’immensité de l’œuvre de Cy Twombly, artiste américain à la production hétéroclite et inclassable.

A rebours de l’évolution artistique de son époque, les œuvres de Cy Twombly nous livrent un univers oscillant entre mythe et relecture imaginaire de la littérature. L’exposition regroupe ses œuvres par thématiques et s’articule autour de trois grands cycles picturaux : Commodus (1963), Fifty Days at Iliam (1978), Connotation of Sesostris (2000). Ce rassemblement aisé légitime le parti pris d’un parcours chronologique, scindé en décennies, guidant le spectateur dans l’évolution artistique constante de Cy Twombly. Toutefois au premier abord son art reste difficilement compréhensible. L’œil du spectateur devient le curseur visuel de la lecture de ses toiles, ajustant la distance nécessaire d’appréhension de son art. Le regard s’effectue en deux temps. Une vision reculée s’enracinant dans la diversité des formats employés par l’artiste, puis une détaillée, dans la spécificité de son travail. Tel est le cas des œuvres présentées dans la première salle, (Academy, 1955) qui retracent le processus d’élaboration de l’œuvre de Cy Twombly au cours des années 1950, marqué par les différents voyages qu’il entreprit. Gratifié par la critique de faire un art presque essentiellement graphique – toujours renié par l’artiste – dans une paternité typographique le rapprochant d’artistes comme Jean-Michel Basquiat, la production de Twombly est à entrevoir dans de multiples dimensions, à la fois linguistique, graphique et picturale. Le non-récit de ses écrits projetés sur le support nous égare dans la perception de ses œuvres. Ils semblent être un jet intime de son intellect que parachève le tremblement de l’écriture dont ils font preuve. Suivant le cheminement de l’exposition, la peinture peu à peu délaisse la planéité du fond de la toile. La facture épaisse fait de celle-ci un amas de formes et de couleurs se détachant du fond de l’œuvre, qui devient quant à lui le terrain propice aux divagations psychiques de l’artiste. On est face à une relation quasi charnelle entre l’artiste et la toile visible dans son œuvre School of Athens (1961). A noter que l’aspect sexuel est majeur dans sa production, les formes phalliques étant récurrentes. Twombly joue de la matière et de sa propre évolution dans le temps. Ses œuvres sont aussi une mixité des techniques, le dessin à la mine de plomb s’additionne à la peinture – industrielle à ses débuts puis à l’huile – brouillant les frontières de ces deux matériaux assujettis à un art dit « traditionnel ». La peinture évolue par le geste de Twombly. Ne pouvant être qualifiée de figurative, ni d’abstraite, elle devient le support de la dualité de l’artiste avec son propre art. Cy Twombly l’exprime lui-même : « J’ai davantage le sentiment de vivre une expérience que de faire un tableau ».

Cette matière est une clef ouvrant sur l’imposante culture de l’artiste. Elle donne vie aux thèmes abordés dans ses œuvres. Elle permet aussi d’asseoir son esthétique, reconnaissable directement, et met en avant un art promu comme étant « exceptionnel ». Esthète de son temps, les toiles de l’artiste représentent le miroir de son érudition. C’est dans l’histoire méditerranéenne que Twombly puise ses aspirations, au cœur de ses mythes fondateurs et des auteurs tutélaires de la littérature antique (mais pas seulement). Il a d’ailleurs une grande partie de sa vie habité en Italie, où près de Rome il installa son atelier, dans une maison achetée en 1975. Cette histoire littérale devient picturale par sa gestualité. Les figures des divinités antiques telles que Mars, Vénus ou Apollon inondent ses toiles, il les schématise par l’écrit et il les forme par la couleur (Mars and the Artist, 1975). Twombly a accordé une place primordiale aux récits d’Homère et notamment à L’Iliade. Les œuvres du cycle Fifty Days at Iliam (1978) sont saisissantes de par leur monumentalité et la véhémence de leur composition, la salle qui leur est consacrée nous immerge dans le récit. Le rouge criard utilisé par l’artiste fixe la violence de la guerre de Troie, axe historique de l’épopée homérique. La tache devient une caractéristique, tout comme la couleur. Son art évolue, le tracé s’amplifie. La toile est à partir des années 2000 entièrement traitée, l’emplacement de la composition n’est plus sélectif. Elle devient une fresque sanguinolente dont la forme est donnée par la couleur vive employée par l’artiste. Et c’est notamment au travers de la figure de la divinité du vin Bacchus, auquel Twombly a consacré une série à partir de 2005, que sa création atteste d’un perpétuel renouvellement. Non abordée dans cet article, la présentation des sculptures de l’artiste reste un point fort de l’exposition. Construites à partir de l’agencement archaïque de rebus, elles éclairent quant à la pluralité des médiums artistiques usés par Twombly. Corroborant celles-ci, les photographies traitées en série (cinq à six prises), figent l’objet comme une poésie sensible et imagée.

Cette rétrospective dédiée à Cy Twombly et bel et bien un hommage à l’ampleur de son œuvre. Aux multiples facettes, elle nous guide au cœur d’un médium presque laissé pour compte durant la seconde moitié du XXe siècle et qui acquiert de nouveau toute sa dignité au prisme de ses œuvres. Au travers de la question du philosophe Roland Barthes – ayant écrit sur Twombly – « qu’est ce qui se passe là ? », nous devons y déceler une entrée directe dans la sensibilité de l’artiste.

Diane Der Markarian

[1] G. Charbonnier, Le Monologue du peintre, Paris, 1959.

 

Image à la une : Cy Twombly, Blooming, 2001-2008, acrylique, crayon à la cire sur 10 panneaux de bois, 250 x 500 cm, collection particulière, Courtesy Centre Pompidou, Paris. 

Diane Der Markarian
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