Xinyi Cheng, « The hands of a barber, they give in » à la galerie Balice Hertling
L’artiste chinoise Xinyi Cheng présente jusqu’au 13 juillet 2017 à la galerie Balice Hertling une vingtaine de toiles, synthèse d’une année de travail. Née en 1989 à Wuhan (Chine), elle a étudié la peinture et la sculpture d’abord à Beijing puis dans différentes villes des Etats-Unis. Après quelques années passées à New York, elle est actuellement en résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam. « The hands of a barber, they give in » est seulement sa deuxième exposition personnelle, et sa première à Paris. Pourtant, il découle déjà de son travail un univers très fort, à la confluence d’une certaine poésie de la vie quotidienne et de questionnements profonds sur la représentation.
Une arborescence de toiles de différents formats accueille le visiteur. Parmi quelques natures mortes et scènes de genre dépeignant des sujets contemporains, le motif de l’homme hirsute présenté de face, de profil, seul ou à plusieurs, posant ou pris sur le vif, habite de multiples portraits. Amis ou inconnus pris comme modèles, leurs actions paraissent alors suspendues et leur figuration atemporelle. Comme des instants pris sur le vif ou des arrêts sur images, ces œuvres dépeignent des fragments de vie, des petits riens, qui, par la palette de Xinyi Cheng, gagnent en poésie.
Chaque toile convoque des camaïeux riches et multiples dont les tons les plus foncés dessinent les contrastes entre les formes. Nous pouvons saisir des bleus pastel, layette, ou sombres ; des violets puissants, aubergine ou mauves ; des roses, orangés ou jaunes déclinés en nombre. L’omniprésence de la couleur est envoûtante. Le regard est alors captivé, presque aspiré par toute l’émotion qui se dégage de la variété de ces nuances. Pour Xinyi Cheng, le choix des couleurs n’est pas laissé au hasard. A l’occasion d’un entretien en 2015[1], elle exprimait son attention particulière pour le choix de chaque tonalité, de manière à refléter au mieux la singularité émotionnelle de chaque scène représentée. D’une toile à l’autre, nous sommes ballotés d’ambiances en ambiances dissemblables. La représentation d’un homme posant sa tête contre l’épaule d’un autre pourrait laisser entendre à une simple salutation amicale, mais les teintes violines définissant l’essentiel des formes représentées laissent penser à un extrait, l’éclat d’un instant d’une étreinte amoureuse. Plus loin, les tons vert d’eau tirant sur la couleur glauque utilisés pour le fond du portait d’un homme semblent porter, voir développer l’expression d’une certaine mélancolie ou tristesse. Cependant, impossible de trancher : est-ce la projection de nos propres ressentis provoqués par des associations de couleurs à un état émotionnel finalement assez personnel ? Sont-ils identiques à ceux que l’artiste voulait évoquer ? Lui ont-ils été inspirés par l’humeur émanant des modèles lors de la séance de pause ? Ces interrogations renfoncent la puissance hypnotique des toiles exposées.
En s’approchant des œuvres, nous pouvons percevoir les traits foncés formant les coiffes et la pilosité des modèles qui contrastent avec les grands aplats couleurs pastel. Tandis que les cheveux apparaissent comme des masses généreuses et fournies, le dessin des poils est minutieux et détaillé sur la peau nue de ces corps masculins. L’homme est alors montré comme un objet de désir par le truchement de l’exhibition d’une virilité pileuse parfois exagérée, amplifiée par son trait appuyé et précis.
La répétition du motif masculin à la virilité idéelle, ou plutôt telle qu’elle est conçue dans l’inconscient collectif, peut faire penser à un détournement, voir à une réappropriation des toiles orientalistes du XIXe siècle. Seulement, cette fois, le corps à la sensualité idéalisée, presque mystifiée n’est pas celui d’une femme orientale représentée par un peintre occidental ; c’est une femme, chinoise, qui peint des hommes blancs dans leur intimité, dans des positions d’attente ou dans des instants de tendresse, et, parfois dans une totale nudité. Le traitement scrupuleux des couleurs ainsi que cette idéalisation presque excessive du corps de « l’Autre », ici l’Occidental, peut éventuellement évoquer certaines œuvres de Gauguin réalisées à Tahiti.
A travers cette exposition, Xinyi Cheng propose ainsi une poésie du quotidien mais également un travail lourd de sens, influencé et porté par la pensée féministe. Apaisante et entêtante, ces représentions ne sont pas si dépouillées de sens qu’elles peuvent y paraître à premier abord. Bien au contraire; et elles sont encore pleines de secrets.
Victoria Le Boloc’h-Salama
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[1] https://www.youtube.com/watch?v=wTV9Cpx4eIU
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Image à la Une : Xinyi Cheng, Pomegranate, 2017, huile sur toile, 40 x 50 x 2,5 cm. Galerie Balice Hertling, Paris.
Toutes les infos sont disponibles sur le site de la galerie.