SE DÉFONCER À LA MOMIE : LA CURE DE JOUVENCE DE LAURA GOZLAN
Rien n’est vraiment visible depuis le trottoir de la rue Caffarelli. Pour découvrir le travail de Laura Gozlan, il me faut pénétrer l’espace de la Galerie Valeria Cetraro, fouler une épaisse moquette et circuler entre les fluides rideaux jaune pâle qui cloisonnent l’espace en de petites alcôves. Ces voilages n’ont rien des étoffes rouge carmin qui bordent habituellement les planches de nos théâtres et présagent une plongée imminente dans les abîmes du fantastique. La transparence des tulles de Laura Gozlan me laisse présumer qu’ici la frontière entre rêve et réalité est fine, vicieuse et obscène. Leur souplesse donne d’ailleurs à la pièce une atmosphère contradictoire entre le boudoir et la clinique spécialisée en chirurgie esthétique. M’engouffrer dans les renfoncements qu’ils proposent c’est me risquer à rencontrer MUM, le personnage créé par l’artiste pour l’exposition Youth Enhancement Systems®.
MUM, c’est une femme. Elle porte un tailleur crème de bourgeoise étriquée dans ses fringues. Ses cheveux sont hirsutes,sa voix vocodée est grave et masculine, son visage cerné et usé. Avec ses mains à la french pourrie, elle tente d’allumer sa Vogue, comme si celle-ci allait soulager un peu son manque. Mais ce n’est pas le tabac qui semble pouvoir combler ses désirs. MUM est comme envoûtée. Sur d’inquiétantes nappes sonores, elle prépare son sortilège. Elle va se défoncer à la momie. En humant les vapeurs de ces corps dont on a ralenti la dégradation, MUM espère transcender son humanité pour tendre vers l’immortalité. Cette femme semble perdre la raison, devenir cinglée, monstrueuse et pathétique. Seule, elle s’adonne à une entreprise obscène et nécromantique. Elle compose un rituel occulte, pour le bien d’une course effrénée vers la pérennité de sa jeunesse. Avec érotisme, elle caresse, lèche et tète des membres en putréfaction qu’elle utilise ensuite pour sa mixture.
Il m’a d’abord été très compliqué de réussir à identifier ce que je ressentais en regardant MUM. Pour tout vous dire, j’ai longtemps méprisé ces femmes désireuses de rester jeunes ; ces femmes qui foutent un pognon délirant dans des crèmes anti-âge ou celles dont la peau est outrageusement tendue et dont les lèvres sont lourdes d’injections. Je n’avais pas compris que l’oppression machiste pouvait à ce point investir nos corps et faire de la ménopause une date de péremption. Je n’avais pas pris conscience qu’en moi-même s’immisçait le poison injonctif d’une société phallocrate imposant à nos corps d’être lisses, pénétrables et féconds. Être porteuse de ce mépris c’était également soutenir cette double injonction qui nous réclame d’une part une beauté normée et nécessairement figée, et d’autre part qui tourne au ridicule toute personne qui tâchera de rester désirable le plus longtemps possible.
MUM balaye tout cela du revers de la main. Elle est seule et elle seule a décidé de se défoncer. Qu’importe qu’on lui réclame de laisser la pesanteur attirer ses seins et ses joues vers le sol, qu’importe qu’on la blâme parce qu’elle voudra faire sien son corps en y fourrant du silicone. Peut-être est-ce pour cela que je n’ai pas d’abord su comment appréhender MUM. Car cette femme qui se défonce avec un urinal augmenté en pipe à eau n’en a que faire de ce qu’on considère classe ou crado. Ce qui compte, c’est sa défonce. Son corps n’est plus un élément décoratif. Il l’a contraint à une fin inévitable, certes, mais qu’elle cherche à transcender. Ce corps, il est aussi un moyen d’accéder à l’extase. Ainsi, nul ne dicte au personnage de Laura Gozlan la conduite à adopter, nul ne nie son autonomie et sa possibilité de choisir. Ce qui compte, c’est sa défonce. Ce qui compte, c’est ce qu’elle veut. Ce qui compte, c’est elle.