PANGÆA DISTAL


Il n’y a plus d’humain-es. Depuis longtemps, il n’y a plus d’humain-es. Les créatures de Morgane Jouvencel parlent depuis ce que l’on appelle le post-anthropocène, le post-humain. En vérité, elles parlent de plus loin encore, d’un endroit et d’un temps que l’on n’imagine pas. 

Demain, tout aura beaucoup changé et l’on peine à se projeter dans un monde d’où l’on aura disparu. 

Avec attention et obsession, Morgane scrute les indices du changement. Elle examine l’évolution des cartes, étudie les perturbations qui ont déjà eu lieu. Elle présume leurs répétitions, leur amplification demain. Elle reprend, suit les lignes des littoraux anciens qui formaient le continent unique ; elle repère les zones de salinisation qui assèchent et métamorphosent les sols ; elle trace les contours des nuages radioactifs qui ont survolé les terres.

La forme du paysage mute constamment. Voyez-le se renverser, se transformer radicalement, d’un mouvement soudain qui dure des siècles. Morgane observe le paysage-créature ; il est vivant.

Installation Continuum, 2022 : 
Survivance 2022, 2022, moulage de pierres en plâtre, acrylique et vernis.
Ecchymose16 (série de tripodes), 2022, sable, fer, papier, plastiques et cartons.

Alors, pour montrer que l’inerte à nos yeux est agité en vérité, Morgane nous projette demain et après-demain. Elle opère des percées exploratoires dans différents lieux, dans différentes temporalités. Ici pas d’utopie, pas de dystopie. Elle élabore des narios, des possibilités, des peut-être et des pourquoi pas. Voyez, aux confins des mondes catastrophés, les paysages s’hybrider.

Comme une galerie de l’évolution à venir, Morgane expose les couches temporelles qu’elle a visitées. Là, des créatures d’argile et de sel ont surgi des sols, observent le monde par leurs angles. Elles habitent les laboratoires récemment abandonnés ; je les entends gronder et gémir / Ailleurs, et beaucoup plus tard, l’on découvre des tripodes aux corps sablés ; ce sont des roches mutantes qui marchent sur des morceaux d’elles-mêmes et suivent les lignes de cendre / Dans bien plus longtemps encore, les terres auront dérivé pour se rassembler. Elles auront peut-être étalé sur elles des plaques de métal pour se protéger. Elles ajourent par endroits ce corsage pour dévoiler leur densité, les strates. Voyez sous l’écorce, la peau ; sous la peau, les réseaux. 

Installation Pangaea distal_001, 2024 :
Nuceliums, 2024, colle aérosol, poussière et fragments de charbons de bois.
Mycérone, 2024, résine époxy et installation en sable teinté et poudre de charbon de bois.

Les trois Hrepr, 2023, céramique, acier et sel de déneigement.

 

Morgane spécule et trace des futurs potentiels. Elle façonne des formes vivantes qu’on ne pouvait soupçonner. Elle nous demande de distordre notre compréhension du vivant. Il nous faut effectuer une contorsion sans précédent pour apercevoir le distal. Le distal, c’est le point le plus éloigné de la référence. De notre référence. Ces mouvements, ces vies sont indiscernables pour nous, trop loin de notre référence. Il nous faudrait fixer les sols durant des milliers d’années pour les voir bouger. Il nous faudrait transformer notre vision, arracher nos yeux, voir autrement.

Pourtant, grâce à la science-fiction, celle des films qui ont accompagné son adolescence, Morgane habille ces mondes d’une esthétique familière pour elle, et pour nous. Depuis le post-post-post-post-humain, elle nous permet un regard prospectif. Elle dévoile des fragments de mondes éventuels, convoque les nouvelles créatures pour que nous puissions nous comparer. Nous apercevons le futur, un instant seulement.

Pangæa distal c’est la next generation, celle que nous n’avons pas vue venir.

 

Inral, 2024, céramique, lumière UV.
Samy Lagrange
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